Beatriz Monteavaro — Date with the night

Exposition

Dessin, sculpture

Beatriz Monteavaro
Date with the night

Passé : 7 mai → 6 juin 2011

Betty et moi sommes assis au bar. La scène n’est pas très précise, c’est peut-être dans notre bar pourri habituel à Little Haiti à Miami où dans un endroit moins connu à Paris. Elle vient de terminer sa prestation musicale. Je suis censé écrire quelque chose pour sa prochaine exposition « Date with the night », ce nouvel ensemble d’œuvres qui parle de son rapport à la pulp culture, aux films de série B et au rock, bricolé comme autant d’univers alternatifs possibles contre la morosité du monde qui nous entoure.

Dans ses nouveaux dessins et sculptures, Beatriz tisse un scénario fantasque où un camion de groupe de rock part en tournée et devient un véhicule pour voyager dans l’espace. On dirait qu’elle est enthousiaste quand elle me raconte ça. Je ne peux pas être excité. Ça a un peu à voir avec elle. C’est moi. Nous commandons une tournée de bières.

« Quand on entre dans ce camion » je dis, « personne ne sait dans quelle mesure ses portes sont une entrée vers des zones hostiles où les choses peuvent mal se passer. »

« Mais, même en sachant ca, » elle me réplique, « chacun déborde d’enthousiasme. Car, dans une tournée, même lorsqu’on se dit que tout va mal, les choses peuvent toujours changer : il y a un toujours nouveau spectacle à venir, une nouvelle ville plus loin sur la route, le tout plein d’espoir pour que tout aille bien. Même si parfois partir en tournée c’est un peu comme courir dans un terrain miné, c’est aussi la meilleure façon d’être catapulté hors de notre quotidien abrutissant où les affaires injustes et les relations écrasantes caractérisent nos vies. »

« Je pense qu’il faut aussi considérer tous les trucs affreux qui peuvent se passer dans ce camion ou qui peuvent arriver en tournée, » je continue. « Plus d’essence, le moteur qui tombe en panne, le matériel volé sur le parking d’un fast-food, les disputes pas cool du groupe, le découragement collectif qui peut atteindre des niveaux suicidaires après une mauvaise prestation. »

Elle n’adhère pas à cette idée.

Dans cet « autre » monde fait d’espaces lointains et de camions fusées que Monteavaro exhume, Gary Numan1 devient une créature Lovecraftienne2 et le Crimson Ghost3, repris du serial film de 1946, est un avatar indélébile des Misfits4, mais il peut aussi être Skeletor de la bande dessinée He-Man (Musclor) et se transforme en une figure ambigüe.

« Oui, mais David Lee Roth5 est l’embléme de ces moments d’extase dans lesquels tout s’arrange » elle me rappelle.

Dans les œuvres précédentes de Monteavaro, des cosmonautes rock, comme Siouxie Sioux, Adam Ant et Marco Peroni6, étaient du voyage. Ils sont de retour dans ces dessins en tant que figurants pour ceux qui s’embarquent à leur tour. Et aujourd’hui, dans les œuvres nouvelles, plus que les musiciens, c’est le véhicule spatial le personnage central, cette machine plein d’espoir dans laquelle on embarque pour un voyage loin de la monotonie d’un monde sans cesse dominé par pas grand chose d’autre que les exigences du bas.

Je lui dit que je pense que ce camion de tournée spatial remplace, d’une certaine façon, l’espace d’exposition en tant que tel — un endroit foutu, à la fois plein de joie mais habituellement déprimant ; un portail par lequel on entre avec l’envie d’être téléporté au loin pour être arraché hors de la même logique transactionnelle du monde — les relations publiques, l’argent, les lèche-bottes, les soucis de «regardez qui vient d’arriver». Un camion de tournée comme substitut au désir d’apprendre comment être artiste de façon différente, et contre les ambiances moins lugubres.

Elle me suggère d’arrêter de lire des romans déprimants comme Nihil Unbound de Ray Brassier ou Le Monde Froid de Dominic Fox auxquels j’ai consacré trop de temps récemment.

Nous commandons une deuxième tournée de bières.

Même si ça ne m’enchante pas, je vois bien que les nouveaux dessins de Beatriz sont droles et pleins de joie. Ils marquent son propre retour à la musique, à la tournée, pour comprendre qu’il y a d’autres mondes et que le bonheur s’épanouie en eux.

Gean Moreno

1  Chanteur, compositeur et musicien anglais du groupe Tubeway Army. Considéré comme le précurseur de la musique électronique commerciale. Il combine l’énergie agressive du Punk à la musique électronique.

2  De « Lovecraftian Horror », sous-genre de film d’horreur qui mélange science-fiction à l’horreur. Dont le nom vient de son fondateur H.P. Lovecraft.

3  Serial Film de 1946 de Fred C. Brannon et William Witney. Le Crimson Ghost est le nom du méchant dans le film et son image a été reprise par le logo du groupe Misfits et dans une vidéo d’Iron Maiden.

4 Groupe de rock américain fondé en 1977, précurseurs du Horror Punk dont l’influence musicale vient des films d’horreur et de leur iconographie.

5  Dit Diamond Dave, chanteur américain du groupe Van Halen. Un des meilleurs chanteur de Heavy Metal.

6  Ces trois personnages sont des musiciens de groupes de rock ou de punk.

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