Drew Dodge — Rainbows, Rituals, and Ruins
Exposition

Drew Dodge
Rainbows, Rituals, and Ruins
Dans 15 jours : 28 juin → 26 juillet 2025
La première exposition de Drew Dodge chez Semiose, en 2024 (Earth Song), fut un choc d’étrangeté douce, inquiétante et loufoque. Avec sa nouvelle exposition,le peintre prouve que son univers, cohérent jusqu’à l’obsession, est en développement continu.
Les éléments du vocabulaire plastique de Drew Dodge sont en place depuis ses
toutes premières peintures, quand l’artiste avait tout juste vingt ans : les
personnages hybrides de chien et d’humain, seuls ou en duo ; les arrière-plans désertiques, marins, volcaniques, cosmiques ; les objets fétiches, crânes, cordes, fleurs ; les paysages des États-Unis, notamment ceux du désert de l’Arizona, où il a grandi et qui ont marqué son enfance.
Sa peinture est aussi ancrée dans l’histoire de l’art américain, de Martin
Johnson Heade (Orchidée et Colibris, 1875-1883, Musée de Boston, ou L’Approche de l’orage_, 1859, Metropolitan Museum of Art, New York) à Georgia O’Keefe — _My Faraway One: Selected Letters of Georgia O’Keeffe and Alfred Stieglitz (vol. 1, 1915-1933) est l’un des livres de chevet de Drew Dodge — ou encore la culture populaire uncanny, avec ses créateurs de monstres, comme Maurice Sendak (l’album illustré Max et les Maximonstres, 1963), ses rassemblements festifs (le Midwest Fur Festival, rendez-vous des adeptes de Fandom Furry), sans oublier la dimension queer, telle qu’elle se manifeste notamment dans les jeux fétichistes du Puppy Play.
Dans cette nouvelle série, les formats — déjà grands dans les précédentes
peintures, où les personnages étaient au minimum à l’échelle humaine — prennent encore davantage d’ampleur. De nouvelles créatures, ailées ou chtoniennes, requin ou alligator, apparaissent. Si les figures conservent leurs caractères invariants, tels que les oreilles pendantes, le contraste de deux couleurs, l’absence d’organes génitaux visibles ou les mains à quatre doigts — attributs par excellence des personnages de cartoon –, les figures gagnent progressivement des ailes, puis des cornes, au cours de transitions successives. Les tableaux s’articulent en de possibles récits, initiatiques, mythologiques (les Métamorphoses d’Ovide ne sont jamais loin), essentiellement ambigus.
Les compositions deviennent de plus en plus complexes, circulaires, en spirale, en forme de symbole de l’infini, en tournoiements, qu’accentuent le jeu des cordages, des lianes et des rubans comme des phylactères, les mouvements tourmentés de la matière et du cosmos. Elles évoquent à la fois les mythes fondateurs tels le rituel du serpent des Hopis, l’histoire de l’art — de possibles tableaux baroques et bas-reliefs antiques issus de l’Atlas Mnémosyne (1921-1929) d’Aby Warburg ou des constructions psychédéliques façon Kenneth Anger (1927-2023) –, ou encore l’histoire de la danse : notamment le sens du pathos et du décor de la chorégraphe Pina Bausch (1940-2009), autre grande référence revendiquée par l’artiste, mais aussi les chorégraphies mysticonaturistes de Rudolf Laban à Monte Verità (1913-1919), ou encore, dans un registre pop et horrifique auquel renvoie le chromatisme des peintures, les danses hantées du film Suspiria de Dario Argento (1977) et de son remake par Luca Guadagnino (2018).
Ces effets de composition se doublent d’une recherche constante de Drew Dodge sur le rendu du poil : tantôt dru comme une brosse de peintre, piquant comme un cactus, tantôt souple comme la fourrure des créatures du
marionnettiste Jim Henson (celle, brune, de Rolf créé en 1963 ou celle, bleue, de Cookie Monster, créé en 1969), jusqu’à envahir totalement l’espace du tableau, comme dans le tondo Heaven (2022).
« Figure » : c’est le terme qu’utilise Drew Dodge pour désigner ses sujets,
réduits à leur fonction, comme pour s’éloigner de toute lecture psychologisante, de toute dimension de mignonnerie, au profit d’une approche abstraite, qui permet à l’artiste de trouver le juste point d’équilibre entre présence et distance au sein de sa peinture. La figure zooanthropique est sa persona, au sens classique du masque de théâtre, ou de la tradition analytique de Carl Jung, lui aussi marqué par sa découverte des cérémonies Hopi et des paysages du désert américain en 1925. Pour être encore plus exact, on pourrait employer le néologisme fursona, contraction de furry et persona, forgé en 1997 par les adeptes du Cosplay animalier. De même que dans le mouvement furry, l’avatar est un reflet velu de la personnalité de son auteur, les figures de Drew Dodge sont la manifestation de son omniprésence masquée au sein de son œuvre. Le choix du chien — plutôt que du renard, du chat, du loup ou d’autres sources d’inspiration fréquentes dans l’univers furry — rappelle (au moins) deux références importantes.
La première est celle du collectif canadien General Idea, dont les œuvres
regorgent de caniches, engagés dans des ménages à trois, mythologiques (Les
Trois Grâces ou Corne d’abondance_, les deux de 1982) ou érotiques (Mondo
Cane Kama Sutra_, 1984). Alter ego des trois artistes, qui se représentent dans l’un de leurs autoportraits majeurs coiffés de toques aux longues oreilles pendantes (P is for Poodle, 1983), les caniches sont les emblèmes, au sens héraldique du terme, de la fluidité des identités, des genres et des espèces. Le caniche comme héro de l’affirmation queer !
La seconde est celle du Franz Kafka des Recherches d’un chien (1922), l’un de ses deux seuls textes écrits à la première personne. Comme l’écrit Pietro Citati dans l’avant-propos de l’édition Gallimard (2004) : « Quoique Kafka n’ait jamais aimé les récits à la première personne, il en écrivit deux dans les dernières années de sa vie, les deux plus extraordinaires peut-être de son œuvre, dans lesquels le personnage unique dit je. Ce je peut n’être qu’une convention littéraire, un écran de fumée dressé entre le monde et celui qui écrit. Et pourtant, nous avons l’impression que, cette fois, Kafka s’approche de lui-même plus qu’il ne l’avait jamais fait : il est là, sous nos yeux, étrangement désireux de se faire connaître ; il ne nous avait jamais communiqué ainsi ses pensées les plus secrètes ». Ce désir étrange, n’est-ce pas précisément ce que Drew Dodge fait sourdre du mystère de ses figures à fourrure ?
Martin Bethenod
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Vernissage Samedi 28 juin 11:00 → 20:00
Horaires
Du mardi au samedi de 11h à 19h
Et sur rendez-vous
Programme de ce lieu
L’artiste
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Drew Dodge