Ernesto Sartori — Scaffalando

Exposition

Peinture

Ernesto Sartori
Scaffalando

Encore 28 jours : 24 mai → 20 juillet 2024

Ernesto Sartori continue ses expériences avec des peintures qu’il travaille en pensant à des «formes-planètes » ou des gommes arrondies par l’usure. Il les imagine rondes et pour ce faire, il ponce le support en bois afin de l’arrondir. Il pense une vision à 90° ou en tout cas une géométrie comme toujours peu commune avec des faussetés voulues. C’est en compagnie du critique et commissaire Simone Menegoi qu’une belle chimère d’accrochage nous semblait imaginable, quelque chose auquel nous pourrions toutes et tous croire, quelque chose qui se construit avec un jeu de possibles à partager.

“Scaffalando” est le gérondif du verbe italien “scaffalare”, lui-même dérivé du nom “scaffale” [« étagère »]. Il signifie “meubler avec des étagères”, ou bien “disposer, ranger quelque chose sur des étagères”. Indépendamment de l’interprétation choisie, le verbe paraît particulièrement approprié pour décrire les œuvres d’Ernesto Sartori de la dernière décennie. Qu’il s’agisse des grandes installations d’il y a une dizaine d’années, regorgeant d’objets disposés sur une variété de tables, de plates-formes, de palettes, ou des peintures des années suivantes, encombrées de volumes à l’échelle incertaine, ses œuvres se mesurent souvent au problème de la répartition des espaces et de l’agencement d’une grande quantité de choses en les plaçant, de façon plus ou moins ordonnée, sur des surfaces appropriées. Des étagères, par exemple.

Dans les nouvelles peintures sur bois de Sartori, la peinture ne se limite pas à remplir la face avant du tableau. Elle déborde sur les côtés du bois puis s’étend à l’arrière, saturant chaque centimètre de la surface disponible. Il n’y a plus de recto et de verso, de face et de profil, mais une seule surface continue qui se referme sur elle-même, sans point de vue privilégié. Ces tableaux — l’artiste les appelle des “Tableaux topologiques” — ne peuvent plus être accrochés au mur car, pour commencer, ils n’ont pas de dos brut auquel fixer un crochet ou dans lequel percer un trou. Il devient alors nécessaire de construire des supports pour poser, ranger, exposer des volumes. Les tables, les étagères et les plates-formes des installations précédentes reviennent sous forme d’une table basse sur laquelle les tableaux reposent à l’horizontale, et d’une structure en bois sur laquelle ils peuvent être placés à la verticale : une étagère, en effet.

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Ernesto Sartori, Trantorizabilmente, P16, 2023 (Face B) Gouache et gesso sur bois, peint sur les deux faces — 52 × 48 × 5,7 cm Courtesy de l’artiste & Galerie Marcelle Alix, Paris — © Alessandro Trapezio

La peinture qui enveloppe ces parallélépipèdes de bois plats, creux et légers, prend tour à tour l’aspect d’un dessin architectural, d’un plan urbanistique, d’une carte géographique. Nous voyons — ou croyons voir — des ensembles de bâtiments et d’espaces verts, des zones urbanisées et des lacs. Les couleurs — des traits noirs, des zones grises, des éclats occasionnels de bleu, des étendues blanches encore non dessinées — renforcent l’impression de regarder des tentatives de cartographier, ou de planifier, de vastes portions de territoire. À moins que, compte tenu de l’incertitude sur l’échelle, au lieu de la table d’un architecte, nous ne soyons en train d’observer le territoire lui-même. Un territoire vu d’une grande hauteur, comme d’un avion en vol ou d’un satellite.

Les œuvres de la série “Trantorizzato” sont également réalisées sur bois, sur les six faces, mais dans ce cas, c’est le dessin qui prédomine. Dessin en perspective centrale, classique. Ce sont des images d’intérieurs vastes et semi-vides. À première vue, ils ressemblent à des usines en construction, à des entrepôts pas encore remplis, à des centres commerciaux attendant la marchandise : des espaces collectifs destinés à de grandes quantités de personnes et d’objets. D’autres détails (un canapé, une lampe, un lit double perdus dans l’immensité de l’espace) suggèrent que ce que nous voyons serait en réalité des habitations, bien que complètement hors échelle ; un ordinateur, une table de travail les transforment en bureaux gigantesques et pourtant apparemment destinés à une seule personne, à un·e seul·e travailleur·euse. Dans tous les cas, il n’y a aucune trace d’êtres humains. Le titre fait référence à un classique de la science-fiction des années 1950, le Cycle de Fondation d’Isaac Asimov, récit dans lequel l’auteur imagine une planète, Trantor, dont la surface est entièrement construite, entièrement occupée par une seule et immense ville.

Les “Trantorizzati” de Sartori s’inscrivent dans une longue généalogie de fantasmes architecturaux qui inclut les contributions de Boullée et Piranèse, Bruno Taut et Hermann Finsterlin, Superstudio et Lebbeus Woods. Des projets dont l’échelle et l’ambition rendent délibérément improbable, voire impossible, la réalisation ; des architectures téméraires, tour à tour utopiques ou dystopiques, conçues pour rester au stade du dessin. “Paper Architecture”. Aucune voix ne résonnera dans ces espaces monumentaux, aucun pas ne les parcourra. Seul l’œil peut s’y aventurer.

Les deux séries d’œuvres convergent. La cartographie et la perspective sont parentes : ce sont les moyens les plus efficaces que la culture occidentale ait imaginés pour transposer la complexité de l’espace réel sur une surface. La domination philosophique, économique et militaire que l’Occident a longtemps exercée sur le monde repose sur la réduction de ce dernier à un modèle ; cette réduction a presque toujours impliqué le passage de trois à deux dimensions, du volume à la surface. Toutes les œuvres récentes de Sartori abordent à leur manière cette question. Ce sont des œuvres bidimensionnelles, basées sur des codes de représentation bidimensionnels, qui tentent d’aller au-delà de la surface, de montrer l’autre côté de l’image, et plus que cela : elles tentent d’émuler le volume, la profondeur du monde. L’échec de ces œuvres dans leur tentative de nous conduire au-delà de la surface — échec soigneusement préparé, prévu, programmatique — est leur enseignement, leur morale.

Le monde n’a pas été créé pour finir dans une représentation. Mais peut-être ne méritait-il pas mieux.

Simone Menegoi

Simone Menegoi (né en 1970, vit à Bologne) est critique, commissaire et enseignant en art contemporain. Depuis 2019, il est directeur artistique d’Arte Fiera (Bologne). Il a organisé de nombreuses expositions dans des espaces privés et publics, en Italie et à l’étranger, explorant souvent la relation entre la sculpture et d’autres langages. Il a été rédacteur collaborateur des magazines Mousse (2006-08) et Kaleidoscope (2009-12) et collaborateur d’Artforum (2011-18). Il a rédigé de nombreux essais sur l’art contemporain commandés par des institutions internationales.

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