Futomomo
Exposition
Futomomo
Passé : 29 janvier → 30 mars 2019
La scène se passe dans la banlieue de Montgomery, la capitale de l’Alabama, un État du Sud qui compte parmi les plus religieux des États-Unis. Deux jeunes hommes noirs en débardeurs blancs, tatoués, fines chaînes dorées au cou, dansent langoureusement en chaussettes sur l’épaisse moquette écrue d’un pavillon coquet. Autour d’eux: les meubles vernis sont garnis de bibelots et photos de famille, les fauteuils recouverts de tissus pastels encadrent la cheminée en marbre et, à la cime de l’arbre de Noël, se hisse la bannière étoilée du drapeau américain. Dans ce salon très middle-class, où les croix catholiques s’alignent soigneusement au mur, un des garçons s’approche lentement d’un guéridon. Son doigt glisse délicatement à la surface du bois brillant, caresse le pied du petit meuble et remonte jusqu’à la tablette où il effleure les objets qui y reposent. Au rythme de la musique de Sonic Youth, de la voix éraillée de Kim Gordon répétant «You’re so close, close to me…», les deux adolescents se rejoignent et dandinent côte à côte vers une banquette brodée de motifs floraux. Là, les mains solidement agrippées aux accoudoirs, les genoux légèrement fléchis, ils font onduler leurs corps dans un va-et-vient sensuel et suggestif.
Le film Massage The History (2007-2009), dont je viens de présenter un extrait, a été réalisé par Cameron Jamie au moment où celui-ci étudiait la manière dont les gangs documentaient leurs délits sur Internet. Depuis longtemps fasciné par les mythes et les rituels—principalement subversifs—qui unissent les communautés, l’artiste américain tomba au cours de ses recherches sur une vidéo qui en bouleversait les codes de représentation habituels. Loin de certains clichés virils et agressifs, on les découvrait, par groupe de trois ou quatre, effectuer des chorégraphies lascives dans des intérieurs cosys de l’Alabama, se trémoussant autour d’éléments de mobilier (tables basses, canapés, lits, commodes…) comme s’ils tentaient de les séduire. Pour quelles raisons précisément? De l’aveu même de Cameron Jamie, rien n’est très sûr. Cette pulsion libidinale vers les objets évoquerait selon lui tout autant certains cultes tribaux qu’une forme originale et collective de fétichisme provoqué par ces environnements domestiques, iconiques des classes moyennes américaines.
Dans un article intitulé «Éloge du fétichisme», récemment publié dans les colonnes du journal Libération, le philosophe Paul B. Preciado note que l’érotisation des objets représente «la version la plus poétique et conceptuelle» de l’histoire sexuelle de l’humanité. Il faut dire que le répertoire des choses sur lesquelles les désirs se cristallisent a de quoi étonner, allant des classiques chaussures, aux larmes, voire même aux ouragans. Ramenée au champ de l’art, cette expression trouve des échos variés. Le fétichisme désignera—parfois avec un léger dédain de la part de ses détracteurs—une attitude sacralisante à l’égard des œuvres auxquelles on prête un pouvoir suprasensible. Il s’agirait ainsi de voir dans les objets d’art plus qu’une simple manifestation matérielle, mais d’admettre qu’ils transcendent cette condition en adoptant une haute valeur symbolique. Plus occasionnellement peut-être, ce sera à travers la plasticité même des œuvres ou par ce qu’elles représentent que se devineront des phénomènes d’attraction à l’égard des choses. Dans une perspective plus psychologique, il faudra évaluer leur caractère de fétiches en tant que véhicules ou cibles mêmes de l’expression des désirs.
Si ces deux tendances se retrouvent a priori entremêlées dans «Futomomo», c’est probablement sur ces questions de matières désirables et de représentation que s’est concentrée l’envie de faire émerger cette exposition entre les murs du CAC Brétigny. D’une part parce que celle-ci s’est construite avec l’étroite collaboration de Jean-Alain Corre, dont le travail explore une certaine sensualité des formes et des matières tout en trahissant la manière dont un environnement domestique peut se trouver érotisé. D’autre part, parce que, comme Cameron Jamie, notre attention a été retenue par les travaux d’artistes dont le traitement des objets quotidiens suggère parfois leur rôle ambigu—comme si ces derniers dissimulaient par leur présence, pourtant terriblement banale, les enjeux secrets d’une relation à l’autre ou au monde.
Il ne me reste alors plus qu’à vous dire un mot sur le titre de ce projet, emprunté à la langue japonaise. «Futomomo» signifie littéralement «grosse cuisse». Dans le shibari, une pratique érotique qui consiste à suspendre le corps de son partenaire par l’usage de cordes, le futomomo est un type de nœud particulier, destiné à la jambe. Emprisonnant la cuisse et le tibia de son passage répété et méthodique, la corde exerce sur la peau une pression telle que s’y dessine une succession de bourrelets. C’est cette relation spécifique entre l’objet, le corps, et l’expression des désirs parfois complexes qui les unissent que cette exposition souhaite mettre à jour à travers le spectre déformant de l’art contemporain.
Espace Jules Verne
rue Henri Douard
91220 Brétigny s/Orge
T. 33 (0)1 60 85 20 78
Horaires
Du mardi au samedi de 14h à 18h
Nocturnes les soirs de représentation au Théâtre Brétigny, scène conventionnée.
Tarifs
Accès libre
Les artistes
- Jean-Alain Corre
- Xinyi Cheng
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Mathis Collins
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Cameron Jamie
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Sylvie Auvray
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Anne Bourse
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Than Hussein Clark