Genieve Figgis — The Pursuit of happiness
Exposition
Genieve Figgis
The Pursuit of happiness
Passé : 7 janvier → 11 février 2023
L’œuvre de Genieve Figgis est celle d’une entreprise de libération. Il s’agit, toile après toile, de venir soulager nos imaginaires et de relâcher les êtres — ou plutôt les spectres — qui hantent notre Histoire. De Madame de Pompadour à Marie-Antoinette, du Comte Fersen à Napoléon, en passant par le récent mariage de William et Kate au Royaume-Uni, c’est tout un univers de pouvoir auquel s’intéresse l’artiste. Dans ces toiles le prestige disparaît pour laisser place à une forme d’étrangeté, où les personnages deviennent des créatures peuplant un monde grotesque. La touche si singulière de Figgis donne à chaque portrait l’allure d’un masque, d’un déguisement, et toute son œuvre semble faire l’étude plus vaste des personnages d’un carnaval. Il semblerait que l’artiste tente ici de nous proposer de la distance; elle utilise le comique et l’absurde pour nous dégager du poids d’un héritage étouffant dont personne n’a pu choisir ni les représentants ni les symboles. Ces portraits présentent des êtres presque surréalistes, proches d’une forme de folie où les couleurs criardes se mêlent, où les regards se perdent, où les bouches se tordent et les expressions deviennent irréelles.
Il y a, en chacune et chacun d’entre elles, une forme de monstruosité.
Cette stratégie de la subversion pousse Figgis à reprendre les canons des genres rococos, notamment La Bascule de Jean-Honoré Fragonard (1750-1752), ou encore Amoureux dans un parc de Boucher (1758). De nombreuses œuvres donnent également à voir des univers champêtres et bucoliques, des lieux de loisirs et des scènes de plaisirs. Les peintures sont emplies d’anges chérubins et de symboles de l’amour. Le style rococo, qui apparaît au début du 18ème siècle, souhaite précisément faire oublier la réalité, le déclin d’une gloire passée, grâce à la multiplication de scènes légères, de gaietés, de joie de vivre. Les peintures y évoquent souvent des scènes pastorales et des promenades de couples aristocratiques, dont Figgis se fait ici l’écho et qu’elle dissèque. Les multiples portraits de Marie-Antoinette sont un hommage à cette figure et la reconnaissance de son influence et de sa présence dans l’Histoire, une position auxquelles tant de femmes remarquables n’ont toujours pas accès.
Pour Figgis, Marie-Antoinette reste une icône, et ses peintures tentent de capturer la vie d’une reine qui connut un mariage forcé, et sa quête du bonheur au cœur de la prison dorée de Versailles.
Figgis utilise le genre du portrait pour sa merveilleuse capacité à faire satire, mais aussi comme un commentaire sur l’histoire de la peinture, en même temps qu’un miroir de notre temps. L’œuvre de l’artiste pourrait paraître anachronique; comment, pourquoi, en 2022, alors que le monde semble s’effondrer et être débordé par des crises, écologiques, politiques, économiques, militaires, peindre les représentants d’un monde disparu, suspendus dans leurs privilèges, à priori si éloignés de la réalité de notre présent? Certainement car cette fascination pour le pouvoir, le privilège, pour leur représentation, persiste. Certainement parce que le monde dans lequel nous vivons est toujours celui du règne de la propriété, des inégalités, des exclusions, et des injustices qu’elle génère.
Cet ensemble de peintures majoritairement historiques est lié au présent par deux pièces en particulier — _William and Kate’s Wedding_ et The Crown, un portrait de Charles et Diana et des jeunes princes, qui reprend le titre d’une série Netflix autour de la vie de la reine d’Elizabeth II. Ces monarques omniprésents dans la vie contemporaine anglaise dialoguent avec les représentants d’une monarchie française disparue, et posent la question de l’aristocratie, de la manière avec laquelle elle a été et est aujourd’hui constituée, Windsor et le Château de Versailles demeurant des lieux aussi mystifiés qu’excluants.
Notre époque est caractérisée par un examen attentif du passé, de son écriture, et de sa réception. Figgis propose, au travers de ses distorsions, une conscience renouvelée de l’Histoire, des images et de la manière avec laquelle elles dessinent et sculptent notre compréhension du monde présent. Elle nous propose de démonter, une toile après l’autre, les représentations de cet asphyxiant héritage et de cette sourde violence, d’en faire tomber les masques, et d’en révéler les ressorts. En quoi et en qui croit-on? Dans quelle histoire nous retrouvons-nous ? Dans quel héritage historique, éthique et politique nous reconnaissons nous? Quelles figures célébrons-nous? On pense alors aux œuvres tardives de Goya et à son humour cruel. Dans l’atmosphère onirique et subversive des Black Paintings (1819-1823), les personnages, des sorcières, démons et autres gobelins deviennent des métaphores pour exprimer la violence, l’ignorance et les croyances d’une humanité parfois aveuglée par ses propres images. Avec des mots qui résonnent avec le travail de Figgis, il a d’ailleurs écrit, au bas de l’une de ses œuvres les plus emblématiques, “Le sommeil de la raison produit des monstres”.
Rebecca Lamarche-Vadel
L’artiste
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Genieve Figgis