Gerhard Doehler

Exposition

Peinture

Gerhard Doehler

Passé : 31 octobre → 6 décembre 2014

Des doubles cercles concentriques laissent apparaître en leurs minces et étroites surfaces un schéma bicolore, tricolore ou multicolore ; des dispositifs verticaux jouent de la réverbération de leurs couleurs sur le mur pour y dessiner un motif ; les œuvres sont indépendantes les unes des autres mais déploient au mieux tout leur mécanisme visuel lorsqu’elles sont présentées en série.

Chacune des œuvres de Gerhard Doehler représente un mécanisme rétinien aussi précis que ses cercles sont parfaits. Ce mécanisme est le résultat d’un processus ordonné et réglé dans lequel l’improvisation n’a pas sa place. Chaque œuvre représente ainsi une équation dont la solution est contenue dans l’expérience que le spectateur en fait. Cela est encore plus vérifiable dans la série des Chromophores , projetant sur le mur par réverbération le motif construit par le dispositif.

La rigueur d’un travail programmé, le jeu de la géométrie comme celui des couleurs, inscrivent très nettement l’œuvre de Gerhard Doehler dans la perspective de l’art concret. Néanmoins il s’en détache car l’œuvre se joue au-delà d’elle-même et de sa matérialité, qui était et reste la règle historique des artistes associés à ce mouvement. Si il est vrai qu’il est un artiste de la lumière et de la couleur, au sens où la couleur est le matériau premier de son travail pour jouer des nuances de la lumière, ses œuvres, sa pratique toute entière traite de la surface d’exposition comme d’un tout incluant l’œuvre.

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Gerhard Doehler, Sans titre, 2013 Courtesy of the artist & Galerie Djeziri-Bonn — Linard éditions, Paris — Photo © Raphaele Kriegel

Nous sommes face à une mécanique jouant à deux niveaux. Par la lecture visuelle et la compréhension et ses motifs, ce que nous pourrions définir de niveau un, l’œuvres s’offre comme un objet dans sa matérailité, ses couleurs et ses motifs, ce que nous pourrions nommer dans un trait d’esprit sa concrétude. Considérer seulement cet aspect, quand bien même il est fondamental, serait nier le rôle du spectateur ainsi que celui de l’espace, mais également la perspective que Gerhard Doehler offre lui-même à ses propositions.

Le niveau deux de lecture et de compréhension est donné d’abord par l’agencement des motifs et le jeu des couleurs sur le mur et dans l’espace. Que les œuvres présentées appartiennent à la série des Cercles, à celle des Chromophores ou des Ontological Parameter Fixing, elles jouent de deux ensembles, l’œuvre et l’espace. Les deux dernières séries précédant dans la biographie de l’artiste les premiers, elles articulent de manière très évidente l’œuvre comme dispositif à l’espace, par le moyen de la réverbération, qui en est l’outil. Cette couleur réverbérée est le lien entre l’œuvre, l’espace et le spectateur : le caractère phénoménologique de l’œuvre prime.

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Gerhard Doehler, Sans titre, 2013 Courtesy of the artist & Galerie Djeziri-Bonn — Linard éditions, Paris — Photo © Raphaele Kriegel

Les Cercles présentent également deux niveaux de lecture et de compréhension mais ont un fonctionnement différent au deuxième niveau. La couleur et les motifs sont directement donnés par le matériau laqué, ce qui confèrent à ces objets leur tonalité vive dont certaines combinaisons pourraient sortir tout droit des œuvres proto-minimales d’Elsworth Kelly. Les motifs associés sur la face ou les champs créent un motif général qui trasncende le cercle lui même pour laisser l’esprit le figurer sur l’ensemble de la surface du mur. Seulement, dans les œuvres composées de deux ou trois cercles, eux-mêmes décentrés, ces projections de figures de surface semblent non pas s’annuler, mais se contredire ou opposer des voix formellement identiques mais agencées différemment.

Dans ce cas, le caractère phénoménologique de l’œuvre déconstruit et interroge l’unité œuvre-espace-spectateur des premières séries, tout en maintenant l’unité de l’œuvre par sa circularité et son jeu d’opposition interne. Mais ce que révèle cette déconstruction de surface est un système identique aux images mécaniques et kaléidoscopiques du Ballet Mécanique de Fernand Léger (1924). La question qui hante les œuvres circulaires est donc de savoir comment se pense — pour le spectateur — la vision simultanée de deux ou trois motifs plans sur la même surface, dans un même ensemble. Autrement dit, comment définit cet ensemble de motifs plans simultanés ?

Il nous faut rester dans l’approche phénoménologique de l’œuvre, à la place du spectateur, pour comprendre le fonctionnement, aboutissement du processus de création : alors que les Chromophores agissent sur l’œil par l’intermédiaire de la lumière réverbérée par les couleurs, les Cercles n’agissent pas simultanément mais avec un décalage temporel infime de l’œil qui passe d’un cercle à l’autre. Le travail de l’œil décompose l’œuvre en ses éléments primordiaux mais aussi structuraux.

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Gerhard Doehler, Sans titre, 2013 Courtesy of the artist & Galerie Djeziri-Bonn — Linard éditions, Paris — Photo © Raphaele Kriegel

La définition de la structure de l’œuvre par ses éléments primordiaux incrit nettement le travail de Gerhard Doehler dans une histoire issue du modernisme, comme nous l’avons constaté. Mais le phénomène de déconstruction, comme les rapport des œuvres entres elles — qui leurs confère une efficience visuelle démultipliée — les inscrivent définitivement dans le contemporain. Dans un entretien avec la conservatrice Ina Prinz, l’artiste souligne l’importance qu’ont pour lui les travaux de Nam June Paik et d’Agnes Martin.

Gerhard Doehler ne recherche pas probablement chez l’un et l’autre, les mêmes choses. Ce que l’œuvre d’Agnes Martin peut offrir est rigueur et répétition, sans jamais tomber dans un quelconque formalisme, mais au contraire s’attachant à maintenir un lien toujours étroit entre le processus de création, la praxis, et la forme ultime de l’objet. Elle offre un modèle d’ascèse de la création, comme marcher sur une ligne de crête tendant vers l’unité de l’artiste et son œuvre. À l’opposé pourrait-on dire, l’œuvre de Nam June Paik est une confrontation à une réalité matérielle de notre ère technologique. Son œuvre repose sur l’éclatement du sujet, sa démultiplication, et l’illusion technologique de son unité, à l’image du TV-Buddha (1974), œuvre composé d’une statue de Bouddha regardant sa propre image sur un écran, œuvre à laquelle fait justement référence Gerhard Doehler.

Si l’expérience phénoménologique des œuvres de Gerhard Doehler est centrale dans son travail, c’est bien pour mettre en œuvre cette contradiction d’un travail issu de l’utopie moderniste, chargé de recréer l’unité entre l’homme et son environnement, même le plus artificiel, avec une part de lui même qui disperse le sujet en de multiples plans sans qu’il ne lui soit possible de les réunir. D’une certaine manière, son travail fait penser à certaines œuvres anciennes de Daniel Buren où le visiteur était amené à devoir reconfigurer intellectuellement les lieux et sa position même de spectateur ; à la différence près que Gerhard Doehler est engagé dans un travail spatial non environnemental.

Jean-Marc Avrilla, octobre 2014
  • Vernissage Jeudi 30 octobre 2014 18:00 → 21:00
Galerie Djeziri-Bonn — Linard éditions Galerie
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