Giancarlo Scaglia — Stellar

Exposition

Dessin, estampe, installations

Giancarlo Scaglia
Stellar

Passé : 15 novembre → 20 décembre 2014

POSTHUME Trois notes préliminaires sur la poétique du vestige de Giancarlo Scaglia

Gustavo Buntinx

 — I — 

TEXTE

Calques, fragments, débris. C’est peut-être dans sa propre structure — matériel et signe — que nous devrions fouiller la vérité intrinsèque des œuvres de Giancarlo Scaglia qui nous interpellent aujourd’hui. Morceaux disloqués de l’ancienne île-prison d’ El Fronton, scène de l’un des massacres paradigmatiques qui ont secoué notre République de Weimar péruvienne (1980-1992).

Un bout de terre assez contemporain, habité seulement par la désolation, marqué sans aucun doute par l’horreur et laissé mélancoliquement à l’abandon avec son architecture en ruine, éclatée entre l’humidité et les excréments d’oiseaux. Une île de guano où la géographie et de l’histoire s’entrechoquent.

Réprimées à la fois par les censures et des autocensures ; obscurcissements devant lesquels n’importe quelle construction de sens doit invertir ses termes. La question de base n’est pas que veulent dire ces ruines mais que signifie la ruine pour nous? Et comment la ruine elle-même nous redéfinit.

Sans le savoir, la réponse de Scaglia nous ramène à certaines origines critiques de la sémiologie comme dans les théories élaborées de Charles Sanders Peirce (1839 — 1914). Les distinctions entre ce que le signe offre comme représentation (l’Iconique) ou ajoute comme trace (l’Indiciaire), et son intégration complexe aux conventions générales de communication (le Symbolique).

C’est ainsi une opération sophistiquée et logique qui se met en mouvement dans les actions artistiques de Scaglia. Opération d’autant plus intéressante qu’elle ne dérive pas d’une volonté analytique mais de l’intuition poétique du sens perdu de ces fragments et de ces traces, et comment un Savoir ou une Vérité peuvent s’y inscrire.

Et déchiffrer : l’interprétation est pour Peirce un acte inséré dans le fait même de la signification, jusqu’au point d’incorporer l’interprète dans la propre structure du signe. Après avoir sélectionné et déplacé les vestiges maintenant exposés, Scaglia transforme des objets immédiats — la proximité statique de ces objets — en objets dynamiques : la sémiose continue déclanche une chaîne de signes qui nous enveloppe, nous aussi les spectateurs, pour nous transformer en d’autres interprétants d’un Savoir qui était déjà le notre mais que nous avions censuré. L’anamnèse platonique.

 — II — 

CONTEXTE

La Vérité contenue dans ces vestiges et libérée dans les œuvres est la mémoire refoulée de tout ce que ces vestiges ont sédimenté. Comme une matière et comme une histoire. En devenant l’une des scènes privilégiées des liturgies fondamentalistes du Sentier Lumineux, El Fronton a accumulé des témoignages essentiels des transfigurations grotesques de l’imaginaire communiste. Dans ses murs et ses espaces ouverts l’idéologie devient tératologie, et les deux deviennent des allégories posthumes surgissant des décombres auxquels cette prison a été réduite à la suite d’un bombardement d’une violence inouïe par lequel l’ État a écrasé la mutinerie fanatique — suicidaire — du 18 juin 1986.

Une nuit de la guerre pure durant laquelle — selon les rapports officiels du Sénat d’abord, puis ensuite de la Commission de la Vérité et de la Réconciliation — plus de cent prisonniers ont péri après leur reddition. Les cadavres des victimes ont disparu, mais restent les impressionnants vestiges de la prison légendaire qui sont aussi ceux-là même que notre république moderne a mis en pièce.

C’est ainsi que les choses ont été perçues par les différentes personnes qui ont travaillé sur la documentation journalistique de cette tragédie depuis l’origine même des faits. Et dans les dernières années des interdictions obsolètes ont été défiées par la traversée du détroit marin et le débarquement de leur propre regard parmi les ruines,avec des résultats aussi impressionnants que les photos d’avant-garde de la journaliste Gladys Alvarado Jourde en 2009.

A partir de cet instant, un seuil a été franchi. Un seuil géographique sans doute, existentiel même mais par dessus tout sémiotique. Le hiatus qui sépare — et à qui lie à la fois — une représentation et une présence.

 — III — 

SOUS TEXTE

O absence. C’est dans cet espace ambigu que Scaglia fait monter les enchères, en définissant la matérialité de son travail sur les vestiges mêmes — non seulement dans la représentation ou la documentation — avec la densité supplémentaire apportée par l’expérience vitale qui prend en charge cette décision artistique.

Après avoir installé son atelier dans la prison en ruine, et y avoir même dormi par intermittence pendant deux ans, son travail produit des images sombres — des marines, mais également des vestiges choisis comme des sculptures factices ou des installations abstraites, et par dessus tout les matrices utilisées pour l’impression des murs sur de gigantesques feuilles de papier japonais imprégnées de denses pigments noirs tel le négatif écrasant des impacts laissés par les éclats de balles sur les murs du réfectoire où les prisonniers devaient monter sur les tables alignées pour être exécutés plus facilement.

Attention à la connotation religieuse des œuvres. Encrés, ces murs se font maintenant remarquer parmi les ruines comme des pierres tombales visibles depuis la mer et depuis le ciel ; ses gravures lugubres s’offrent à nous presque comme des suaires.

Stellar est le nom cosmique donné à ces pièces. Et Constellations est le titre du dessin virtuel tracé sur le sol de la galerie pour la mise en place des éléments ramenés de l’île : plumes, os, boîtes de conserves tordues, débris dynamités de l’architecture pénitentiaire. Comme les disjecta membra d’une étoile ou d’un ange déchu dont la dispersion ordonnée trace des géométrie imaginaires, célestes, peut-être sublimes, avec les restes tragiquement terrestres de notre passé trop proche.

Pays et paysage, radicalement liés. La ruine retournée à la nature et réinsérée dans l’histoire.

Un sous-texte maudit que la Politique ou la Loi réprime et enterre. Mais l’art exhume. Comme dans la gnose extrême de Scaglia. Un poésie absolue mais vulnérable, transgressée. Des poétiques non de la poésie épique mais du vestige, de la trace, de l’incision, de l’effondrement ; tous les éléments de preuve circonstancielle que révèle notre modernité dans le postmodernisme posthume.

  • Vernissage Vendredi 14 novembre 2014 16:00 → 20:30
Galerie Bendana | Pinel Art Contemporain Galerie
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4, rue du Perche

75003 Paris

T. 01 42 74 22 97 — F. 01 42 74 25 29

www.bendana-pinel.com

Saint-Sébastien – Froissart

Horaires

Du mardi au samedi de 11h à 19h

L’artiste

  • Giancarlo Scaglia