Gianni Pettena — Le permis de penser
Exposition
Gianni Pettena
Le permis de penser
Passé : 3 mars → 12 mai 2018
Gianni Pettena — Galerie Salle principale Pour sa première exposition à la galerie Salle Principale, Gianni Pettena donne à voir plus de cinquante années de travail que _Le permis de penser_ se propose de retracer. Une initiative salutaire tant cet inventeur a déployé une réflexion qui continue de prouver sa pertinence, son audace et son actualité.“Io sona la spia”: l’homme qui tient la pancarte sur laquelle sont imprimés ces mots est un homme libre. Etre libre selon Pettena c’est faire le dos rond à l’air du temps, c’est planer au dessus du conformisme le plus pesant, et c’est s’émanciper du groupe et de ses convergences de vue. Il est un événement imprévu, libéré de toutes pensées bornées, qu’elles soient convenues ou radicales. Par ce geste inopiné, Pettena nous renvoie au refus de Marcel Duchamp “d’être un artiste tel qu’on l’entend aujourd’hui” autant qu’un “anti-artiste” lui préférant le terme “d’anartiste”. Ce positionnement permet à Duchamp de déplacer aux frontières les références propices aux amalgames en tout genre que les institutions de l’art (ou anti-art) ne sauraient que trop bien récupérer. Il en va de même pour Pettena qui ne se positionne ni dans l’acceptation, ni dans le refus frontal, mais opère ce décalage qui le place dans cette faille dans laquelle rares sont ceux qui osent s’y glisser de peur de ne pas s’en sortir. Mais c’est ainsi que Pettena à la charnière des mondes ouvre nos yeux à une architecture que nous ne voyons pas. “Anarchitecte”, il sera et le restera.
L’exposition à la galerie Salle Principale retrace ses 50 ans d’activité, anarchitecturale donc, débutée en 1967 à Florence. À l’heure où il est devenu évident que la planète doit être préservée plus que transformée, il est frappant de constater que les cinq décennies traversées par Gianni Pettena sont habitées par la compréhension fondamentale de notre vulnérabilité face aux éléments naturels. Pettena c’est l’affirmation, chère à Jacques Ellul, de la non-puissance qui autorise la ré-appropriation de nos actes et la maîtrise de nos vies. Un positionnement qui n’exclut certainement pas le combat puisque Pettena se lance toujours dans la bagarre, animé par un esprit rebelle, un humanisme bienveillant et par un authentique plaisir de vivre.
Les œuvres sélectionnées pour cette exposition confirment cette singularité qui se fait jour dès les premiers travaux prouvant ainsi que les études d’architecture ne débouchent pas forcément sur les montagnes de certitudes qui sont à l’origine des paysages dévastés d’aujourd’hui. Savoir ne pas construire dans le cas de Gianni Pettena c’est ne pas vouloir subir et faire subir afin de bâtir un regard et une pensée tour à tour lucide et rêveuse. Somme toute, la force d’un regard d’enfant qui voit ce que nous ne voyons plus et qui sait vivre les instants magiques de son imagination indomptée. Peut-être la manière la plus fine de toujours être en harmonie avec son époque, suffisamment souple pour épouser les circonvolutions d’une société en perpétuelle évolution. Un architecte qui ne construit pas, ou si peu, pour mieux nous montrer du doigt les véritables enjeux et détourner nos regards des trajectoires faciles. Du travail d’artiste qui tutoie l’art conceptuel et le land-art en convoquant le plus souvent les corps à se frotter aux réalités du monde. Une approche qui aura ouvert la voie à toute une génération d’architectes, et d’artistes, faisant de Pettena une figure discrète mais fondamentale pour tous ceux nés après l’effervescence des années 68. Une période ayant accouchée de nombreux mouvements contestataires à l’instar de l’architecture radicale italienne, dont Gianni Pettena, nous le constatons avec le recul nécessaire, s’avère être le représentant le plus honnête.
“Io sono la spia” résume cette présence discrète mais imparable au cœur du courant. Qu’il tienne une conférence les pieds dans l’eau (Marea, 1974) ou qu’il gravisse une montagne (The Craft of the architect, 2002) la silhouette de Pettena lance toujours un défi à notre intelligence, non à la Nature. L’artiste affirme des positions idéologiques avec force et lucidité notamment avec Grazia & Giustizia (Palerme, 1968), performance mettant en scène un slogan sous forme de lettres géantes capables de rivaliser par sa taille avec l’architecture environnante, et qui au final, sombrent au fond de la mer. Une procession critique et joyeuse qui finit par tomber à l’eau illustrant avec sagacité la compréhension qu’a Pettena des impasses de la révolte. Une lecture qu’il renouvelera dix ans plus tard avec Icons of the past. Gianni Pettena qui n’aime décidément pas s’en laisser conter, aiguillonne le public lors de la performance Applausi (1968) en le réduisant à un statut de simple téléspectateur. Ce même pouvoir de l’écran et le système économique qui le supervise sont les sujets des films The pig “Carosello italiano” (1967) et Random movies2 (1972), collages de séquences nous plongeant au cœur de la doctrine libérale et de ses errements.
Cette dichotomie entre une autorité et ses sujets il la met également en scène lors de la performance Laundry (1969) au cœur même de la ville, là où se concentrent les symboles architecturaux du pouvoir, en suspendant du linge entre les hauts murs des monuments officiels. La trivialité du dispositif redonne, le temps de l’installation, une dimension sociale et enjouée qui souligne un peu plus le caractère inégalitaire d’un système économique hégémonique.
« Si l’on est sincère, on montre toujours d’où l’on vient. »
Pettena
Parmi les œuvres récentes de l’artiste, Vive l’architecture (2013) est révélatrice de la distance que Pettena parvient à instaurer entre notre lecture de l’histoire de l’art et ses représentations péremptoires qui placent le pouvoir, ici religieux, au premier plan d’un monde où la Nature et l’Architecture ne sont qu’une toile de fond. Pettena révèle pourtant l’importance de ces arrières plans, dans leurs préciosités et leurs definitions rigoureuses voulues par les artistes. Gianni Pettena aura passé une grande partie de sa vie à transmettre à ses étudiants ce regard malicieux et désinvolte tout comme il nous le communique au travers de son œuvre puissante de simplicité et de lucidité bienfaisante. Gianni, grazie mille !
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Vernissage Vendredi 2 mars 2018 17:00 → 21:00
Horaires
Du mercredi au vendredi de 14h à 19h
Les samedis de 11h à 19h