Michelangelo Penso — Hommage à Gaston de Pawlowski

Exposition

Installations

Michelangelo Penso
Hommage à Gaston de Pawlowski

Passé : 12 janvier → 23 février 2013

L’art est un mirage utile
À propos du travail de Michelangelo Penso

« …tant il est vrai qu’il paraît difficile, en certaines matières, de ne point parler de tout à l’occasion de quelque chose…. »

Gaston de Pawlowski

Michelangelo Penso est un artiste discret, pour ne pas dire secret. Même au sein du monde de l’art, son nom demeure relativement confidentiel. Et son travail l’est plus encore. Mais l’homme et l’œuvre sont remarquables, méritant sincèrement que l’on s’attarde et que l’on prenne le temps d’en découvrir toute la profondeur.

Ce sont des artistes comme lui qui gardent l’art vibrant, questionnant, spirituel et désintéressé (au sens de libre, de non inféodé).

Quant au travail de Penso, il ressemble à un arbre. Il est là, solide, bien planté et aussi amplement déployé dans l’espace. Les racines sont profondes : celles de son arbre généalogique vont jusqu’en Palestine, d’où ses aïeux sont partis pour venir s’installer en Italie ; celles qui se rattachent à son art et à sa pensée remontent loin dans le temps, s’enroulant autour de cette longue lignée d’artistes qui se sont intéressés à la science (ou, si ce n’est à la science, au soubassement géométrico-mathématique de la nature), depuis l’antiquité jusqu’à des figures emblématiques de la modernité, telles que Naum Gabo, Antoine Pevsner ou Marcel Duchamp (en particulier, tout le volet de son œuvre gravitant autour des « moules mâlics », des « stoppages étalon » et du « Grand Verre »), en passant par les grands maîtres de la Renaissance.

Parmi les auteurs qui le fascinent, il en est un qu’il faut citer : c’est Gaston de Pawlowski (1874-1933) auquel cette exposition à la galerie Alberta Pane rend hommage. Ecrivain, docteur en droit et journaliste sportif, ce dernier est l’auteur entre autres de l’extraordinaire « Voyage dans la quatrième dimension » ; un singulier opus au carrefour de la philosophie, de l’art et des sciences. Dans ce livre, il expérimente un état de conscience dégagé de l’espace et du temps, au sens où nous concevons habituellement ces dimensions. Évoluant dans la quatrième dimension — où tout n’est plus qu’unité, qualité et simultanéité —, Pawlowski explore trois périodes de l’histoire humaine : l’époque du Léviathan (où règne « un être microcéphale colossal, supérieur aux hommes et les enveloppant comme autant de cellules de son corps gigantesque »), la période scientifique où les savants jouent avec l’atome, et enfin l’époque de l’Oiseau d’or, où la quatrième dimension devient familière à l’humanité tout entière.

Ce qui constitue le cœur de l’œuvre de Penso, c’est la matière pensée, rêvée, intuitionnée ou, dit autrement, c’est la matière pensante, rêvante, intuitionnante. On pourrait aussi dire : la matière comme pensée, comme rêve, comme intuition. Et ajouter enfin qu’en posant l’équivalence entre ces termes, on peut alors les faire passer à loisir d’un côté ou de l’autre du signe d’égalité qui les unit. Parler de l’un c’est parler de l’autre, c’est aussi commencer à parler du reste ou du tout.

Cette quête (ou enquête) a pris diverses formes depuis ses dessins de micro-organismes et de molécules d’ADN sur des pages de livres reliés par son grand-père (des livres qu’il retrouva à Venise, disséminés, longtemps après la déportation de son aïeul dans les camps de concentration, et dont il défit patiemment chaque reliure, comme s’il revenait sur les traces de cet homme en effectuant les mêmes gestes, mais cette fois-ci à l’envers), passant par des recherches « texturologiques » ou « matériologiques », recréant des sols d’îles ou de planètes inconnues à l’aide de divers métaux mélangés à un solvant chimique (White Island), ou encore ses travaux avec des sangles de levage colorées qu’il enroule sur elles-mêmes créant ainsi des formes évoquant des corps célestes ou des cellules (les Orbites, dont chacune a pour titre une équation mathématique correspondant à une fractale), puis qu’il déploie dans l’espace en les suspendant au plafond de la galerie, telles des harnais (Blue Genetic Structure, par exemple).

Pour cette nouvelle exposition, l’artiste a imaginé Physarum polycephalum ; une structure violette composée d’armatures et de sangles industrielles (un matériau qui abonde alentour de son atelier, situé non loin des docks de Venise). Reprenant les idées de l’artiste et théoricien Brian O’Doherty exprimées dans ses essais publiés sous le titre de « Inside the White Cube, the ideology of the gallery space », Penso élabore une œuvre sculpturale se développant, dans / à travers / contre le cube blanc de la galerie. Il explique à ce sujet : « ma démarche consiste à refuser l’hypothèse de la fixité de l’œuvre afin de montrer comment celle-ci est capable de s’adapter et d’occuper la galerie avec des méthodes similaires à celles qu’utilisent les plantes et les arbres, qui poussent, croissent et prennent possession de l’espace jusqu’à parfois le transformer (comme c’est le cas, par exemple, avec certains arbres dont les racines peuvent déformer le terrain). » À la fixité des formes finies, il substitue « un modèle d’accroissement dynamique issu du monde biologique et végétal ». D’où cette structure filamentaire et ramifiée envahissant tout l’espace d’exposition.

Pour celles et ceux qui n’ont aucune idée de ce que peut être un Physarum Polycephalum (dont je faisais partie, je le confesse, jusqu’à ce que l’artiste m’en parle), il s’agit d’une sorte de champignon gélatineux de couleur jaune. Ses étranges propriétés motrices, sensitives et «  cognitives  » ont fait l’objet de récentes études scientifiques tendant à démontrer que cet amas organique était capable de se déplacer de manière organisée à l’intérieur de différents labyrinthes, en évitant entre autres de parcourir à nouveau des chemins déjà empruntés qu’il a auparavant balisés à l’aide de marqueurs chimiques, fonctionnant à l’instar d’une « mémoire externe ».

La forme créée par Penso est de couleur violette. Il a choisi cette couleur particulière parce que c’est la complémentaire du jaune ; c’est-à-dire la seule longueur d’onde qui soit absorbée par un corps de couleur jaune, contrairement à toutes les autres longueurs d’onde du spectre qui sont réfractées.

Sans début ni fin, la structure conçue par Penso consiste aussi en un agrandissement démesuré de l’intérieur des cellules organiques. Ce changement d’échelle fait référence à nouveau au livre de Pawlowski, et en particulier au chapitre XXXIII, où il est question d’un savant japonais qui, pour éviter une contamination microbienne fatale à l’humanité, eut l’idée de modifier la dimension de ces micro-organismes jusqu’à ce qu’ils atteignent la taille d’animaux domestiques et deviennent ainsi parfaitement inoffensifs. C’est, nous dit l’artiste, « à l’image de cette métaphore sur la condition humaine et de sa fragilité que cette sculpture géante envahira complètement l’espace de la galerie. »

En changeant d’échelle et en modifiant les dimensions des structures infinitésimales qui nous entourent et nous composent, Penso apprivoise l’invisible. C’est ainsi qu’il crée des œuvres, des mirages utiles.

David Rosenberg, Paris, janvier 2013
  • Hommage à Gaston de Pawlowski Vernissage Samedi 12 janvier 2013 17:00 → 21:00
Galerie Alberta Pane Galerie
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T. 01 43 06 58 72

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