Hugo Capron — Dolphin Derby
Exposition
Hugo Capron
Dolphin Derby
Passé : 25 juin → 13 août 2022
Je ne pense pas qu’Hugo Capron porte la moindre affection aux « sujets » de ses peintures. Les feux d’artifice, les crevettes, les citronniers, plus récemment les rivières : il n’a rien de commun avec eux — peut-être a-t-il un citronnier, peut-être aime-t-il les crevettes, mais une chose est sûre : sa peinture n’est pas autobiographique. D’ailleurs ce ne sont pas vraiment des sujets, plutôt des motifs.
Par chance, sa peinture — pas plus que de lui — ne parle du monde. Elle n’a rien à nous dire sur la société, sur notre présent, sur nous, sur comment il faudrait se comporter, s’habiller, voter, penser, se chauffer et se nourrir ; elle ne s’indigne de rien, ne plaide pour aucune cause, ne donne pas de directives sur le comportement idéal. Libre à vous de penser à l’écologie si vous regardez ses rivières — on en est souvent là, aujourd’hui, à guetter le sens absolument, sinon à quoi l’art servirait-il ?
Ces « motifs », il ne les choisit pas à la légère mais plutôt en fonction de ce qu’ils permettent, du vocabulaire dont ils autorisent la mise en place : c’est plus d’une richesse formelle que d’une richesse sémantique dont il s’agit. Les atouts de la crevette : deux yeux exorbités formant deux formes parfaitement sphériques noires, presque graphiques, comme une ponctuation ; un corps souple dont les torsions peuvent être multiples et dont la transparence apporte avec elle son lot de problèmes de représentation ; des antennes offrant deux lignes flexibles qui autorisent le dessin (elles ont donné lieu à ces boucles colorées dans lesquelles on a pu reconnaitre la peinture de Josh Smith) ; leur milieu aquatique naturel permet une gamme colorée quasi infinie, etc.
Lorsque l’animal devient sujet — dans les peintures de Sean Landers ou les photographies de William Wegman, dans les fables de La Fontaine — ils sont souvent les doublures d’humains et c’est nous qu’il faut voir à travers eux lorsque s’exprime la morale de la fable. Évidemment avec la crevette c’est plus difficile, Capron ne les charge d’aucune humanité, et il n’y a pas de morale conclusive. Comme les feux d’artifice ou les rivières, le motif-crevette semble endosser aussi la fonction d’intercesseur, une porte d’entrée qui guide le spectateur dans le tableau, rassure sans doute, et adoucit la brutale vérité : le seul sujet, c’est la peinture elle-même.
Les générations de peintres apparues depuis le début du XXIe siècle, encouragées par un élan semble-t-il sans condition du marché de l’art en leur direction, n’ont jamais fait mystère de leur totale émancipation des règles de l’histoire de la peinture au XXe siècle ou, à tout le moins, du respect de ses caractéristiques fondamentales de linéarité et d’évolution : l’habitude pour ces jeunes générations est plus souvent qu’à l’ordinaire de ne pas tenter de s’inscrire dans cette histoire en la prolongeant à l’aide de ses moyens habituels, mais simplement en la citant de manière littérale et fragmentaire, comme le topping sucré-coloré d’un dessert. Avec une obsession franche et assumée pour Picasso, dont on retrouve à l’envi la manière de peindre un nez ou un corps, un fragment de crâne de taureau où un principe de déconstruction — l’évocation permanente.
La « coïncidence Josh Smith » mise à part, la peinture de Capron n’est ni de ce registre ni de cette manière. Oh certes, comme bien d’autres, il a regardé tout ce qui pouvait l’être et en plus sans effort grâce à internet — un artiste qui dans les années 1970 voulait prétendre comprendre la peinture de Morandi pour nourrir la sienne ne pouvait assurément le faire en gardant son cul sur sa chaise devant un écran. Morandi, tiens, que je citais un jour de visite à l’atelier d’Hugo Capron, face à une nouvelle toile dont la palette colorée me semblait évoquer celle du fantastique Italien : oui, Capron avait regardé un livre sur Morandi, justement, récemment, alors peut-être pouvait-on donner à cette palette une source inconsciente. La connaissance de l’histoire de l’art infuse sa pratique de manière diffuse, plus exactement les solutions picturales des uns et des autres l’habitent plus que les images qu’ils ont produites ou leurs motifs « iconiques » — pour épuiser un peu ce mot accablant mais, une fois encore, on en est là, et faire de la peinture aujourd’hui c’est être prêt à se confronter à un public qui pense ainsi. Hélas, trois fois hélas, il n’y a rien d’iconique dans la peinture de Capron.
J’ai toujours pensé qu’une œuvre d’art en général, et un tableau en particulier, commençait par s’adresser à moi en m’indiquant la manière dont son auteur me considère. C’est la première chose que je perçois, peut-être même avant de prendre conscience du sujet du tableau, peut-être même en amont de la reconnaissance d’une peinture abstraite ou figurative. Comment ce tableau s’adresse à moi, sur quel ton il me parle, les stratégies qu’il déploie pour m’intéresser, exciter ma curiosité, flatter ou provoquer mon goût, bref comment le tableau me considère : gogo ou digne destinataire d’une conversation ? Tout dans le tableau m’en informe. Dans la plupart des cas, à ce petit jeu, on fait vite le constat d’être pris pour une bille, on voit toutes les malhonnêtetés, on comprend toutes les facilités, on perçoit la manière de surfer sur les vagues du moment, l’imposture est à portée de main.
La peinture de Capron — je le perçois immédiatement — entend engager avec moi une discussion dans laquelle je me sens un interlocuteur respecté, considéré — ça ne veut pas dire que cette peinture ne va pas essayer de m’enfumer un peu mais la relation fabriquée entre elle et moi me semble respectable. Également parce qu’elle ne s’appuie pas sur les trompe-l’œil habituels et ne met pas en place les tristes stratégies actuelles pour donner l’illusion qu’un tel lien se fabrique : pas de bavardage, pas d’engagement politiquement, pas de citation directe de grands peintres, pas de sujet, rien qui découle de quotas, rien d’iconique et rien d’écoresponsable, ni #MeToo ni #MePoo.
Cette peinture, simplement, me fait confiance pour comprendre comme elle le langage pur et simple de la peinture et employer communément ce langage. Qualifiés par cette compétence, elle et moi (elle et nous) sommes embarqués dans l’appréciation du tableau : crevettes ou rivières peu importe. Ce qui s’impose, c’est une manière de peindre, l’ambition de « faire tableau », et le projet franchement déraisonnable mais essentiel de participer à l’histoire de la peinture sans prétendre changer les règles du jeu.
Eric Troncy
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Vernissage Samedi 25 juin 2022 11:00 → 20:00
Horaires
Du mardi au samedi de 11h à 19h
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L’artiste
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Hugo Capron