Huitième Biennale d’Estampe Contemporaine
Evénement
Huitième Biennale d’Estampe Contemporaine
Passé : 12 septembre → 13 octobre 2019
« Où est le réel : au ciel ou au fond des eaux ? L’infini, en nos songes, est aussi profond au firmament que sous les ondes. »
L’eau et les rêves, G. Bachelard
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Dans les gravures présentées pour la huitième biennale d’estampe contemporaine, les noirs de l’encre sont le pendant à la transparence de l’eau. Matière mystérieuse surgissant de la nuit des temps, l’eau déploie toutes ses nuances de transparences et de subtilités. Au cœur du vivant, diaphane, le noir et le blanc se jouent des jeux de miroirs, de reflet, de symétrie.
Aléatoire, l’eau circule dans le format, calme, imprégnant le papier depuis l’encre du pinceau ou l’encre taille douce, elle figure sous forme d’ondulations noires émergeant ou enveloppant des formes mi-humaines ou végétales comme le mouvement d’une chevelure dans l’eau.
Elle participe, habite et envahit l’image. Quand l’eau disparaît, tout est pétrifié, fossilisé et le vivant se fige, les visages sont fantomatiques, les regards lointains et vidés de leur présence si puissante. Que reste-t-il encore de la vie ? Les os ? Pour combien de temps ? Le flux de l’eau se fait fil conducteur et guide le choix de ces quatre artistes ici rassemblées au centre d’exposition Les Réservoirs. Il s’agit de l’ancien réservoir d’eau de la ville de Limay datant de 1867. La gravure est un discours de l’empreinte à travers lequel chacune témoigne à sa manière du vivant qui façonne notre monde.
Ainsi, Christine Bouvier développe un travail autour des notions de temps, de souvenir et d’image, Cécile Marical dédie sa création à la fragilité de la condition humaine et s’interroge sur la trace d’un « passé qui ne passe pas », Pascale Parrein explore des mondes invisibles à l’oeil nu, des « petites choses » microscopiques, et Ayda-Su Nuroğlu établit un dialogue entre l’Orient et l’Occident tout en vagabondant entre l’homme et l’animal.
Muriel Baumgartner, juillet 2019 Artiste-enseignante à l’EMAP de Limay
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Christine Bouvier
« Appréhender la masse mouvante de l’eau, incertaine. L’eau qui sépare, l’eau qui relie tantôt calme, réfléchissante, tantôt mue par des courants ou forces Coriolis, à l’instar d’Univers-îles, lointaines nébuleuses ou galaxies. Apprivoiser l’eau, pour de mentales odyssées… » 1
Près de ma maison, il y a un ancien lavoir, avec un bassin à ciel ouvert. Cet endroit est devenu pour moi une sorte de laboratoire, perceptif et réflexif. Je dessine sur la surface de l’eau, je module les ondes, je joue avec les éclats de lumière, les réflexions, et leurs projections vibrantes, à certaines heures du matin, lorsque le soleil est au rendez-vous.
J’associe parfois des figures humaines, ou leurs reflets, ou les projections de leurs reflets qui deviennent alors de sombres silhouettes, prises dans la danse lumineuse et fugitive des dessins de l’eau. Étrange théâtre d’ombres, perte de repères…
Je photographie ces évènements évanescents, comme pour en extraire des instants. J’en transfère des images sur la surface miroitante du cuivre. Je provoque un jeu de disparitions et réapparitions successives de ces empreintes d’images, en les livrant à la corrosion répétée des bains d’acide, à l’insidieuse « eau forte ».
Elles sont alors à la fois dissoutes et inscrites dans l’épaisseur du métal. Je réincarne ces vestiges d’images avec les gestes et les outils du graveur, créant des aspérités, griffant le cuivre pour accrocher le noir de l’encre, le polissant pour faire advenir la lumière.
Les impressions sur le papier, nouvelles images, sont la mémoire de ces expériences, l’empreinte d’un moment…
1 C.B, extrait du texte écrit pour le catalogue de l’exposition Iles, le Trait, galerie du Bout du Monde, St Hypocrite-1 du-Fort, 2018.
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Cécile Marical
« Du moins savent-ils (les artistes), en déplaçant les points de vue, en renversant les espaces, en inventant de nouveaux rapports, de nouveaux contacts, incarner les questions les plus essentielles, ce qui est bien mieux que croire y répondre. » 1
Du temps, il faut du temps, de celui qui est après, après une blessure, un deuil, après l’impensable, après le Rwanda.
Cécile Marical collecte, accumule, photographie, expose aux intempéries, au feu, à l’eau, confie au temps. Elle attend, elle expérimente, et cette attente ne cesse de s’approfondir, de se confondre avec ses expérimentations.
C’est long, lent, mais le processus délivre l’inattendu de sa poésie.
Par exemple, dans ses Essais de Carnets Brûlés, l’encre traverse les papiers de soie en révélant les échos d’un visage dont le regard, alors, écarte les généralités de l’être, supprime toute distinction entre forme et fond : « le visage s’est tourné vers moi, et c’est cela sa nudité même.»2 « Aller au pas des choses », dit Montaigne, dans la lenteur et l’effacement de soi-même. Pour cette raison, les empreintes tiennent une place centrale : par exemple, celle de la fleur de l’Umurinzi collectée au Rwanda est dans la série d’estampes Après Nyamata une sorte de citation, une citation de matière-mémoire.
Faire une empreinte est un geste modeste, humble, comme s’effacer pour laisser passer.
Cette humilité est la condition première pour que s’exprime « ce très fragile langage que les hommes disposent entre la violence de la question et le silence de la réponse ».3 L’entre-deux est notre condition, nous souffle Cécile Marical, il faut partir de là.
1 Georges Didi-Huberman, Être crâne
2 Emmanuel Lévinas, Totalité et infini
3 l’Umirinzi est un arbre sacré du Rwanda
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Ayda-Su Nuroğlu
Les travaux d’Ayda-Su Nuroğlu établissent, bien sûr, un dialogue entre l’Orient et l’Occident, que ce soit par les formes ou les sujets qui affleurent sourdement de ses œuvres.
Mais elle n’est pas une « artiste du monde » comme voudrait nous le faire penser son itinéraire personnel et professionnel, et comme voudrait le faire penser l’époque.
Elle est une artiste des mondes, des infra-mondes.
Nullement conceptuelles, ses recherches font remonter à la surface du papier, des visions envoûtantes et sensuelles, enfouies dans des nœuds symboliques, eux-mêmes intériorisés et refoulés par l’individu, mais constitutif de son identité profonde.
Les formes opaques, en pointillés, superposées de ses créations entrelacent les civilisations, les genres et les espèces. Ces œuvres sont sauvages et rétivess à tous les récits civilisationnels ; ce que nous livre Ayda-Su Nuroğlu c’est un paganisme qui nous saute aux yeux et au ventre.
Son paganisme fait tomber la pseudo nature des êtres et des relations, et nous rappelle nos illusions et nos pulsions qui vagabondent quelque part entre l’homme et l’animal.
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Pascale Parrein
Dans la série de dessins et gravures Cellules, un monde organique invisible à l’oeil nu envahit de grandes feuilles blanches comme dans un retournement d’échelle. Ce travail fait référence à une époque où ces deux médias étaient les moyens privilégiés de représenter, expliquer et diffuser les connaissances scientifiques et techniques de façon précise et objective.
Mais aujourd’hui d’autres outils se sont substitués pour remplir ce rôle.
Ce travail donc n’a rien de scientifique, mais témoigne de la fascination pour un monde d’élégance, d’une grande richesse plastique, présentant d’innombrables déclinaisons formelles, des capacités de motilité et d’organisations complexes.
Ces travaux de grande dimension sont destinés à être présentés comme de grandes affiches, dont on peut inverser le sens, car les cellules ne sont pas soumises à la gravité, jouer avec les répétitions et les rythmes créés entre les différents motifs.