Humain, trop humain

Exposition

Dessin, peinture, vidéo

Humain, trop humain

Passé : 13 mars → 28 avril 2012

Au milieu du XVIIe siècle, dans le centre d’Amsterdam, Rembrandt van Rijn travaillait avec obstination la représentation de la figure humaine. Le paysage, les accents lyriques et tendres de la nature, quoique très prisés par ses contemporains, ne l’intéressaient guère et il leur préférait la profondeur des visages, l’éloquence du corps. Dans son grand atelier, à l’étage, il avait une presse à graver, qu’il utilisait quotidiennement. C’est sur celle-ci qu’il imprima en nombres des dessins où la physionomie des êtres, au lieu d’être enlevée et superbe, s’avérait imparfaite voire misérable. Ces images circulaient de main en main, beaucoup plus abondamment que les huiles, par définition uniques, et Rembrandt diffusait ainsi, à travers ces êtres piteux, la pleine expression de la condition terrestre. Lui-même se traita de la sorte en relevant sur sa propre face, année après année, l’effet du temps qui passe.

Une esthétique de l’usure

La peinture et les vidéos d’Eszter Szabó s’inscrivent à leur manière dans cette tradition cruciale de l’art. En combinant ses visions de la jeunesse avec celles de la vieillesse, l’artiste anticipe, non sans humour, la sénescence de ses proches en 2053. Peu importe qui ils sont cependant : les personnages un peu grotesques qu’elle met en image ont in fine quelque chose de très familier pour quiconque fréquente les centres urbains. Eszter Szabó tord le cou aux diktats de la beauté lisse et facile du papier glacé et pointe son curseur sur la corrosion, sur l’usure. Celle-là qui inspire une absolue répulsion à notre modernité, obsédée par le renouvellement permanent, le culte de la consommation, la négation du temps. Eszter Szabó entre en résistance avec ces fadaises publicitaires, dont certains artistes se sont malheureusement fait les chantres, pour exposer une vérité bien plus profonde et bien plus cinglante. Là où le passage du temps est raboté par l’imagerie dominante, Eszter Szabó l’accélère.

Le primat du regard

L’emphase est bannie de son traitement graphique. La touche est d’une grande simplicité sans être naïve et nimbe les figures d’un voile léger et vibrant. Nul détail superflu, pas même dans ses vues urbaines au panorama élargi, mais une recherche d’un cadrage efficace, concentrant l’attention sur des éléments éloquents. Les vêtements bien sûr, rehaussés par des motifs populaires et des couleurs clinquantes, les accessoires, la corpulence aussi, mais surtout, le regard. A la Renaissance, toutes les méthodes de peinture exigeaient du praticien qu’il commençât chacun de ses personnages par les yeux, autour desquels devait graviter l’ensemble de la composition, a fortiori quand il s’agissait d’un portrait. Le travail d’ Eszter Szabó souligne, avec une énergie sourde, la beauté fulgurante et trouble du regard : tantôt, il s’ouvre, généreux et offert, les orbites gonflées et la pupille luisante ; tantôt, il fuit, se plisse, se détourne, s’obscurcit. Mais on sent immanquablement qu’il vit et qu’il a vécu. La beauté véhiculée par les mass-médias cherche à faire écran ; elle crée un clivage entre la perfection figée du modèle et celui qui le contemple. Eszter Szabó, en artiste, produit l’inverse ; l’âpreté de ses figures suscite une curieuse empathie. Elle suscite le sentiment d’Humanité.

Un esprit décalé

Humain, trop humain, tel était déjà le titre que donna Nietzche en 1878 à un de ses recueils d’aphorismes, parmi les plus violents, partagés entre une désolation certaine et un vitalisme remarquable, où l’art joue une part immense. Eszter Szabó suit cette voie. Nietzsche écrivait dans cet ouvrage :

« Les auteurs les plus spirituels produisent le plus imperceptible des sourires. »

Et sans doute ne faudrait-il pas éluder, au cœur du travail Eszter Szabó, ce léger grincement, ce petit éclair d’ironie, ce décalage qui, donnant des choses et de l’existence une conscience, frappent l’esprit pour mieux le libérer.

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L’artiste

  • Eszter Szabó