Joe Andoe
Exposition
Joe Andoe
Passé : 23 février → 8 avril 2023
Les tableaux de Joe Andoe résonnent de faibles bourdonnements vibratoires, comme ce grésillement qu’on perçoit entre deux fréquences radio, comme le bruit sourd des ondes électromagnétiques qui voyagent à travers l’espace intersidéral et qui soudain devient audible. Andoe peint comme on syntonise une station de radio — il exprime un moment dans le temps, ou une sensation. Ses images peuvent évoquer des lieux réels ou des objets reconnaissables — cerfs ou poulets fantomatiques d’une blancheur spectrale, étang placé dans un panorama cinématographique (ce que Joe appelle ses ‘Champs-Élysées Hillbilly’, ou ses coins de pêche de l’au-delà) — mais elles sont en réalité des portails, comme tous les sons. On tourne le bouton et on change de fréquence.
Andoe place souvent le curseur sur les formes de sa jeunesse à Tulsa. Longtemps, il a préféré ne pas parler de l’origine de ses images, non par gêne, goût du secret ni posture, mais parce qu’il ne pensait pas que ce soit important. Comme les éclairages et les câbles qui entourent un plateau de tournage : ‘si vous reculez la focale, ça tue la magie’. Mais les gens ont besoin savoir ces choses. Ses sujets ne sont pas des énigmes. Il les voit comme des couleurs dans lesquelles il plonge son pinceau.
Et peut-être cet instant de votre existence vous parait-il réel parce que votre cortex frontal est encore ouvert, comme un disque rayé. Andoe explique que son disque à lui s’est rayé quand, à 18 ans, un peu défoncé, assis dans sa voiture sur un chemin de terre à la périphérie de la ville, il a réalisé à quel point tout cela était beau. Il n’y a aucune ironie dans cette prise de conscience, et sa peinture est de même, sèche, directe.
La présentation qu’on découvre ici est restreinte à quatre tableaux récents. Quand on monte une exposition aussi succincte, le résultat est curieux : la puissance de chaque tableau est décuplée. Il se fait une alchimie de l’effort. Ou comme le dit Joe, ‘on a sa dose’.
Quatre tableaux, ça ne laisse guère de place pour se cacher, et c’est très bien comme ça. La sobriété de l’imagerie n’en est qu’amplifiée. Le bourdonnement emplit la salle. Ces œuvres ne constituent pas un ensemble voulu, à moins que l’on ne considère le projet d’Andoe comme un travail typiquement américain, unifié moins par l’intention que par l’atmosphère.
L’accent mis sur la figuration est trompeur. Ce n’est pas vraiment un stratagème, mais ce n’est pas non plus l’essentiel. Andoe les voit plutôt comme des abstractions, des formes prélevées dans le plan matériel et recomposées, corps dotés d’une force nouvelle. Sa technique consiste à appliquer une épaisse couche de peinture à l’huile sur ses surfaces, pour en marquer les contours, puis à en effacer l’excès. Le résultat révèle le grain de la fine toile de lin ainsi teintée avec une dynamique texturelle qui évoque certains peintres minimalistes américains comme Ryman ou Kelly.
L’un des tableaux figure un tronc d’arbre, ou plutôt l’évocation d’un tronc d’arbre, une silhouette, à moitié là, à moitié pas, entière mais laissant filtrer les grésillements. Elle surgit sur la toile, ramenant le regardeur aux gestes vigoureux de l’expressionnisme abstrait. Barnett Newman dit qu’Abloe peint comme on tire Excalibur du rocher, en un geste délicat qui peaufine la composition pour la faire exister.
L’Excalibur d’Andoe existe par sa vigueur ordinaire, sublime dans sa simplicité. C’est là qu’est le stratagème : il force l’image à sortir de son absence, tout en laissant son absence subsister. On en ressent le bourdonnement qui se réverbère et fonce vers nous, tête baissée.
Max Lakin
L’artiste
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Joe Andoe