Jordan Derrien — Wonderfulness/Dogma/Sash/Both

Exposition

Dessin, peinture

Jordan Derrien
Wonderfulness/Dogma/Sash/Both

Passé : 13 janvier → 26 février 2023

Des fenêtres comme espaces de densité 
 
Il existe, dans le Bwari Pottery Village au Nigeria, un bâtiment dont les fenêtres dépourvues de vitres ont la forme de flèches à la pointe érigée vers le haut. Depuis que je l’ai vu en photo l’année dernière, je n’ai pas pu m’empêcher d’en faire une obsession, tentant de déterminer pourquoi l’habituelle forme rectangulaire ou carrée avait été remplacée, vers quoi ces flèches pointaient, à quoi elles pouvaient faire référence. Si l’on regarde le bâtiment de l’extérieur, les fenêtres fléchées font immédiatement lever les yeux, dirigeant le regard vers le toit en chaume de palmier. Si on les regarde de l’intérieur, elles pointent vers le ciel, et incitent à se rapprocher d’elles, en décidant de la direction vers laquelle les yeux devraient regarder.
 
La forme de la fenêtre, encourage-t-elle un moment de réflexion alors que nous levons nos yeux au ciel ? Propose-t-elle un antidote à la vie que l’on a l’habitude de percevoir à hauteur de notre regard ? Ou peut-être invite-t-elle à un moment de rêverie, à un monde que l’on peut inventer, nous détournant de l’actualité pour nous plonger vers une réalité imaginée ? 
 
Ce moment d’imagination que peut offrir le simple fait de regarder par la fenêtre se retrouve dans la construction du roman La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet (1957). Le narrateur secret (qui ne se dévoile jamais), observe de manière obsessionnelle les rendez-vous de sa femme — seulement connue sous l’initiale A… — avec leur voisin Franck, à travers une fenêtre de sa maison. Les observations répétées du narrateur laissent le·la lecteur·trice perplexes quant à ce qui a réellement eu lieu et ce qui est le résultat de ses propres fantasmes, brouillant doucement les pistes entre réalité et fiction, intérieur et extérieur. 
 
Dans La Jalousie, une fenêtre incarne plus qu’un simple élément architectural — c’est un portail vers le fantasme, la frustration, l’amour et la jalousie. C’est un espace qui permet à une réalité alternative de prendre forme, une réalité construite par les émotions, un espace actif plutôt qu’une surface, tout à la fois obstruant et facilitant, puisque la structure est aussi limitante.
 
L’intérêt porté par Jordan Derrien pour l’œuvre d’Alain Robbe-Grillet a permis à l’artiste d’emprunter des formes et des comportements rencontrés dans La Jalousie, en vue de concevoir ce nouvel ensemble d’œuvres. Les fenêtres ont le potentiel de constituer des dispositifs d’encadrement qui dictent ce que nous voyons et comment nous le voyons, soigneusement agencées dans des bâtiments qui façonnent tant l’extérieur que l’intérieur et, par extension, les points de vue et les expériences. En cela, elles ne diffèrent pas tellement des peintures ou des dessins, dans lesquels des éléments figuratifs ou abstraits sont disposés, ce qui permet de les interpréter de diverses manières et de laisser place à nos pensées et à nos émotions afin que ces dernières en influencent la lecture.
 
Dans sa tentative de dresser le portrait de la mystérieuse A…, le personnage dépeint, n’offre pas une image cohérente, mais ouvre plutôt à davantage de possibilités du regard. Les dessins sous forme de collages qui ne contiennent que des fragments d’information ressemblent presque à une planche d’investigation visuelle, un mystère qui serait encore à résoudre. Un exercice supplémentaire au sein duquel l’imagination est la clé. Regardez-vous l’intérieur de la lettre A ou l’espace en apparence vide qui l’entoure ? Y a-t-il une seule manière d’écrire A ? Une seule manière de lire A… ?
 
En 1992, James Turrell réalise une œuvre intitulée Space That Sees [L’Espace-voyant], installée de manière permanente au Musée d’Israël à Jérusalem. C’est l’une des œuvres issue de sa série des Skyspace [Espace-Ciel], au sein desquelles le public est invité à passer du temps à l’intérieur d’un espace vide, et à lever les yeux vers une ouverture rectangulaire ou circulaire dans le plafond qui laisse percevoir un ciel et une lumière en perpétuel changement. Cette pièce performative, garantit une expérience vécue unique. Comme le suggère son titre, l’espace participe activement à l’observation, permettant une chorégraphie alternative des éléments naturels qui modifient l’espace environnant. Ici, le « regardeur » est un élément qui est vu par l’espace. Le trou dans le plafond devient une entité en soi, plutôt qu’un simple connecteur entre l’intérieur et l’extérieur.
 
Dans ses œuvres les plus récentes, montrées à travers deux expositions — _Bushels of Goodness and Warmth_ à V.O Curations à Londres (2022) et Wonderfulness/dogma/sash/both aux Bains-Douches à Alençon (2023) –, Jordan Derrien poursuit son exploration des espaces qui contiennent ou confinent. Dans les deux cas, les pièces  répondent de manière directe aux espaces où elles sont installées, en s’appuyant sur les éléments architecturaux préexistants. Les œuvres et les fenêtres de la galerie sont en dialogue les unes avec les autres, faisant fléchir la hiérarchie entre elles. En ce sens, l’espace est également activé par les œuvres qui le détournent.
 
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Natalia Grabowska est curatrice et chercheuse basée à Londres. Elle est en charge du département Architecture et des projets in situ (site-specific) pour la Serpentine Gallery. Précédemment, elle a travaillé sur des expositions et des programmations au sein d’institutions et de galeries internationales, telles que Lisson Gallery (Londres), Artists Space (New York) ou Sprüth Magers (Londres). Elle a fait partie des équipes curatoriales d’expositions et de festivals comme ‘EVERYTHING AT ONCE’ (2017), organisé par Lisson Gallery et The Vinyl Factory, ou Krakow PhotoMonth (2011, Cracovie, Pologne). Elle a dirigée les  recherches et a co-édité de nombreux catalogues d’expositions et livres d’artistes dont War Primer 2 (2011) d’Adam Broomberg et Oliver Chanarin, ARTIST — WORK — LISSON (2017), Umwelt de Pierre Huyghe (2018), Visionary Drawings d’Emma Kunz (2019), The Eye Is Not Satisfied by Seeing de Jennifer Packer (2020), ou encore Formafantasma Cambio (2020), entre autres. Sa pratique curatoriale indépendante se concentre principalement sur des projets in situ et sur les liens qui existent entre histoire de l’art et activisme. Natalia Grabowska a étudié les droits humains et la culture visuelle à l’Université Columbia à New York. Elle est titulaire d’un master en théorie de l’art contemporain de l’Université Goldsmiths et d’une licence en photographie du London College of Communication.
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151, avenue de Courteille

61000 Alençon

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Les mercredis, les samedis et dimanches de 14h à 18h30
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