Joseph Beuys, Iphigénie
Exposition
Joseph Beuys, Iphigénie
Passé : 14 octobre 2012 → 23 février 2013
Titus/Iphigénie, présentée le 30 mai 1969 au Theater am Turm à Francfort à l’occasion du festival Experimenta 3, compte parmi les performances les plus spectaculaires et les plus fortes de Joseph Beuys. On y voit l’artiste vêtu d’un manteau de fourrure accompagné d’un cheval d’un blanc étincelant sur une scène obscure. Le mythe et la tragédie d’Iphigénie expriment ici la liberté de chacun, la créativité de l’individu. Le Titus Andronicus (1589-92) de William Shakespeare, dont la cruauté et la violence renvoient aux crimes nazis dans le contexte de cette performance, rejoint, avec l’action de Beuys, l’Iphigénie en Tauride (1779) de Johann Wolfgang von Goethe, où l’héroïne — incarnation de l’humanité, guérit son frère Oreste grâce au pardon et à l’amour.
Peter Handke, témoin de cette action, la commente ainsi dans une critique écrite pour Die Zeit (édition du 13 juillet 1969) :
« Plus l’événement s’éloigne […], plus le cheval et l’homme qui évoluent sur scène gagnent en force et les voix qui sortent des haut-parleurs génèrent un tableau que l’on pourrait qualifier d’idéal. Il laisse le souvenir d‘une image qui semble marquée au fer rouge dans sa propre vie, une vision qui suscite chez l’homme la nostalgie et la volonté de créer lui-même de tels tableaux car ce n’est qu’en tant que reproductions qu’ils commencent à agir à l’intérieur de lui. Alors une agitation apaisée se saisit de lui s’il pense que ça va l’animer, c’est si douloureusement beau que cela devient utopique, c’est-à-dire politique. »
Créé à une époque où la performance en tant que forme artistique commençait à peine à s’émanciper du théâtre traditionnel, le Titus/Iphigénie de Beuys fait incontestablement partie des œuvres emblématiques de l’histoire de l’art récente. Joseph Beuys fait figure de précurseur de ce tournant de l’histoire de l’art qui a été favorisé par l’esprit du mouvement de 1968 et sa tendance contestataire.
La Galerie Thaddaeus Ropac inaugure un nouvel espace dédié à la performance, un espace essentiel dans le nouveau complexe architectural de la galerie Ropac à Pantin en présentant des œuvres de Joseph Beuys qui ont un rapport avec la légendaire performance de Francfort. Pour cela, elle est accompagnée par Jörg Schellmann, qui assure le commissariat de l’exposition. Schellmann, l’un des connaisseurs les plus intimes de l’œuvre de Joseph Beuys, dirige depuis 1969 les Editions Schellmann, un lieu de production et de diffusion d’éditions d’art installé à Munich et à New York. Schellmann a longtemps collaboré avec Joseph Beuys, dont il produisit les multiples; il est aussi l’auteur du catalogue raisonné des éditions. Cette exposition a été réalisée en étroite collaboration avec Eva Beuys et la Succession Joseph Beuys de Düsseldorf.
L’exposition se compose de deux parties. La première donne à voir des objets, sculptures, dessins, photographies et documents qui évoquent de façon fragmentaire l’idée directrice de l’action et le langage formel emblématique de cette œuvre. Dans la seconde, l’univers de Beuys est représenté à l’aide de groupes d’œuvres, réunis et organisés par Jörg Schellmann d’une manière encyclopédique. Les principes de base et les points essentiels de la démarche beuysienne y prennent ainsi vie.
Les deux œuvres majeures du premier volet de l’exposition proviennent directement de la Succession Joseph Beuys. On y retrouve une vitrine où sont réunies les cymbales originales utilisées lors de l’action de Francfort et le manuscrit préparatoire original de cette action (tous deux de 1969), ainsi qu’une autre vitrine contenant deux fontes de la légendaire sculpture intitulée Kopf [Tête] (1961-76).
Kopf [Tête] réalisée en 1961, a été fondue en 1976 pour le monument Straßenbahnhaltestelle [Arrêt de tram], exposé la même année dans le pavillon allemand de la Biennale de Venise. Cette sculpture fut créée en souvenir du monument aux trophées de Clèves qui datait du XVIIème siècle puis intitulé plus tard Straßenbahnhaltestelle — Eiserner Mann [Arrêt de tram — Homme de Fer]. Cette Tête à la bouche entre-ouverte par la souffrance et aux yeux exorbités, est fixée à l’extrémité du canon constituant la sculpture. Il existe au total cinq exemplaires de cette sculpture. Tête est considérée comme étant un portrait posthume du baron rhénan Anacharsis Cloots (1755-1794), qui joua un rôle important pendant la Révolution française en tant qu’orateur du genre humain, un personnage auquel Beuys s‘identifiait. Un exemplaire de Tête était également visible dans la dernière grande installation Palazzo Regale, inaugurée le 23 décembre 1985 à Naples, quatre semaines avant la mort de l’artiste. Avec le manteau de fourrure de Beuys et un sac porté des années durant, cette tête est une sorte de Königsgrab [tombeau du roi] que l’on interprète communément comme symbolisant l’autodétermination de l’être humain et qui représente l’artiste. En 1985, Beuys déposait Tête sur une petite chaise d’enfant, et c’est ainsi qu’elle est accompagnée d’un deuxième exemplaire couché.
Cette première partie contient également des photographies signées et sélectionnées par Beuys, qui documentent l’action, des éditions concernant Titus/Iphigénie, des sculptures telles que Honiggefäß [Pot de miel] (1977) et la canne de Beuys Spazierstock/Kupferstock [Canne de cuivre] (1968), ainsi que des dessins.
A propos de la présentation formelle de la vitrine, Eugen Blume remarquait en 2008 :
« les armoires et vitrines récurrentes dans l’œuvre de Beuys doivent, entre autres, être comprises comme un médium historiographique. Beuys utilisait ces traditionnels conteneurs d’histoire pour montrer diverses constellations de reliques d’actions, des sculptures, objets usuels et artefacts historiques. Les vitrines, qui proviennent, pour la plupart, de musées des sciences de la nature, ont été sans cesse remaniées, dans un sens processuel fondé sur la conception de l’histoire chez Beuys, ainsi, leur contenu a été complété, réorganisé, remplacé ».
Pour la deuxième partie de l’exposition, le volet encyclopédique, Jörg Schellmann a disposé des exemplaires uniques, objets et dessins dans des vitrines thématiques : il s’agit ici de la qualité de la matière et de sa capacité à se transformer (Badewanne für eine Heldin, [baignoire pour une héroïne] 1950/61, etc.). Des objets sonores (Zwei Fluxusobjekte [Deux Objets fluxus], 1974, etc.), des matériaux d’actions (Action Fahne [Drapeau], 1974, etc.), et de doubles objets (Irisches Objekt [Objet irlandais], 1985, 2 Samurai-Schwerter [2 épées de samouraï], 1983, etc.) tournent autour des thèmes de la photographie et de la lumière (zeige deine Wunde [Montre ta blessure], 1977/1986, etc.) et de la confrontation entre les matériaux: bronze, cuivre, zinc et soufre (Bein mit Kupferklemmen, [Jambe avec broches en cuivre] 1984, etc.).
Toutes les vitrines de cette exposition représentent un concentré de l’univers de Beuys, un univers qui nous semble à la fois familier et énigmatique. Les œuvres réunies ici sont celles d’un artiste qui voyait une signification dans le moindre objet auquel il pouvait donner vie. Elles constituent dans ce contexte un atelier archaïque du XXème siècle : ce sont des dispositifs expérimentaux dans un laboratoire de l’esprit, des références à un artiste qui marqua une époque.
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Vernissage Dimanche 14 octobre 2012 15:00 → 18:00
L’artiste
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Joseph Beuys