Kenny Dunkan — Keep Going!
Exposition
Kenny Dunkan
Keep Going!
Passé : 6 mars → 22 mai 2021
Les filles du calvaire ont le plaisir d’annoncer la première exposition personnelle de Kenny Dunkan à la galerie. Ancien pensionnaire de la Villa Médicis, Kenny Dunkan envisage Keep Going ! comme un parcours initiatique foisonnant d’images, de sculptures et de vidéos. Puisant dans la culture caribéenne, la mode ou le design, il développe une œuvre performative et hybride qui interroge héritage colonial et identité fragmentée.
Cartographie de l’intime par Simon Njami (écrivain, narrateur, essayiste) :
C’est bien d’intimité, malgré un déploiement à l’apparence chaotique, rassemblant des fragments qui constituent autant d’éléments d’un puzzle, très soigneusement mise en scène qu’il s’agit. La théâtralité de l’exposition est là pour surprendre, déstabiliser, désorienter. L’artiste revendique d’ailleurs le chaos et en assume la réalité en citant Édouard Glissant : « Le chaos est beau quand on en conçoit tous les éléments comme également nécessaires. » Mais plutôt que de suivre Glissant dans le développement qu’il fait sur les cultures du monde, je convoquerai plutôt le philosophe Henri Delacroix dans sa définition du langage qu’il décrit comme étant l’ « un des instruments spirituels qui transforment le monde chaotique des sensations en monde des objets et des représentations. »
C’est donc à explorer son propre chaos intime que nous invite Kenny Dunkan sous la forme d’une mise en abime kaléidoscopique. Les photographies comme des papiers peints, des albums, des notes visuelles tapissent le sol et les murs, comme un jeu de piste, comme l’illustration la plus immédiate de sa fragmentation. C’est le chaos du monde des sensations évoqué par Delacroix dont l’artiste a voulu dessiner la cartographie intime, en deux mouvements, comme en musique : la mémoire et l’identité. La mémoire, c’est la Caraïbe dont il est originaire, la Guadeloupe et, par extension, tout le Nouveau Monde. La mémoire ne peut être détachée de l’histoire, notamment celle de la colonisation et de l’esclavage. Une histoire marquée aux fers rouges et qu’il faut réécrire, réinventer, exorciser. Mais il existe également, peut-être plus prégnante et plus organique, la mémoire sensible. Cet ensemble de ruines, pour reprendre l’expression de Toshomé Gabriel, à partir desquelles on rebâtit sans cesse, à la recherche d’un nouveau syncrétisme.
Ce syncrétisme, entre fantasmes et souvenirs, s’inscrit fortement dans le présent et dans son actualité. Références aux hamacs amérindiens, aux sculptures sacrées et à une cosmogonie revisitée, rites profanes et rites sacrées. Une sorte de cabinet de curiosité très personnel dans lequel chaque objet contient un sens et livre un morceau de l’histoire racontée par l’artiste. Le corps est un élément essentiel du dispositif. Comme une métaphore qui dirait des histoires que les mots ignorent, comme le dit Henri-Pierre Jeudy : “Les images du corps ne concernent pas le corps telle une entité isolée, elles adviennent simultanément comme images du monde. Et le langage ne permet d’organiser que des classifications arbitraires qui rendront le sens de l’interprétation toujours proche de l’illusion.”
Plutôt que d’être victime de cette fameuse illusion mentionnée par Jeudy, Dunkan préfère en user à son avantage, notamment dans les mises en scène de son propre corps dans une tentative assumée de casser les idées reçues et les visions sexuées du corps noir. Une tentative de déconstruction, de rejet de ces vêtements empruntés à l’histoire et à une forme de mépris pour exister selon ses propres règles et selon sa propre perception de soi. Qui dit perception de soi parle naturellement d’identité. Il eut été surprenant que Dunkan n’y accordât pas la place qu’elle mérite. En débarquant à Paris pour poursuivre ses études supérieures, il a sans doute éprouvé le même choc que celui qu’éprouva James Baldwin en sortant de Harlem : il s’est vu Noir, Guadeloupéen, provincial aussi, sans doute.
En prenant conscience de son étrangeté, il a également intégré le fait qu’il n’était pas une identité figée mais qu’il portait en lui la schizophrénie de son île natale en une totalité insécable. En prenant conscience de lui-même et du monde qui l’entoure, il est devenu voyant, selon les termes de Merleau-Ponty : “Mon corps est à la fois voyant et visible. Lui qui regarde toutes choses, il peut aussi se regarder, et reconnaître dans ce qu’il voit alors l’“autre côté“ de sa puissance voyante.”
Le voyant s’est fait masque, comme le personnage du carnaval de ses souvenirs, s’est fait Janus en empruntant des costumes de scène qui, tout en les masquant, dévoilent ses identités multiples. Jouant sur la malédiction de Cham, il s’amuse à égrener sur des notes ironiques et sensibles la pureté et l’impureté. Comme s’il s’agissait là, simplement, des deux faces d’une réalité unique.
Simon Njami
Avec le soutien du Centre national des arts plastiques (aide à la première exposition), ministère de la Culture et de la Communication.
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Vernissage Samedi 6 mars 2021 à 15:00
17, rue des Filles-du-calvaire
75003 Paris
T. 01 42 74 47 05 — F. 01 42 74 47 06
Horaires
Du mardi au samedi de 11h à 18h30
La galerie est ouverte du 11 au 16 mai aux heures habituelles, puis à partir du 18 mai du jeudi au samedi de 11h à 18h30.