Laurent Le Deunff — Easter Eggs

Exposition

Dessin, sculpture, techniques mixtes

Laurent Le Deunff
Easter Eggs

Passé : 18 novembre → 30 décembre 2023

Les sculptures présentées dans l’exposition Easter Eggs se présentent comme des totems composés d’une suite inattendue d’objets, culturels ou naturels, associés avec une très grande liberté. Au mur sont accrochés des dessins monumentaux au fusain, de la série « Brouillard », inspirés d’explosions de cartoon. Ces dessins combinent un brouillard vaporeux, presque un sfumato, qui rappellent les ciels de peintures de la Renaissance, et des signes graphiques et typographiques, de l’ordre de la virgule ou de la parenthèse. Deux forces antagoniques sont à l’œuvre dans cette exposition : une force centripète dans les sculptures où les formes sont concentrées autour d’un axe, et une force centrifuge dans les dessins d’explosion où les éléments tendent à se dilater et à se disperser hors-champ.

Laetitia Chauvin : Dessinez-vous un croquis de vos sculptures au préalable ? Comment vous laissez-vous guider au fil de la taille directe ? Par vos envies ou par les accidents du bois ?

Laurent Le Deunff : Depuis quelque temps, je fais de plus en plus d’esquisses de sculptures ou d’installations, mais cette pratique est davantage guidée par le plaisir du trait et la liberté d’explorer des possibles que par le besoin de planifier une sculpture en particulier. Je compare souvent la sculpture sur bois avec le dessin au crayon : la bûche est comme une page blanche, un support contraint par le format mais sur lequel tout reste possible. Une bûche ou une grume n’est pas un matériau neutre, il a déjà vécu et porte en lui la conscience du vivant. Lors du travail de sculpture, le fil du bois, les nœuds, les départs de branche ou encore les dimensions de la bille déterminent évidemment la forme que va prendre la sculpture.

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Laurent Le Deunff, Vue de l’exposition Easter Eggs, galerie Semiose, Paris, 2023 Courtesy of the artist & Semiose, Paris — Photo : DR

LC : Peut-on discerner des rébus dans ces sculptures ? Un montage par imagination est nécessairement opéré par le spectateur : est-ce que vous recherchez justement cette association inconsciente, que mettaient en œuvre les cadavres exquis surréalistes ?

LLD : Je n’ai pas l’intention de raconter quelque chose de précis avec cette série de sculptures, mon envie est simplement de réaliser des cadavres exquis dans des bûches, en invitant par imagination d’autres œuvres ou d’autres styles. Je m’inspire d’artistes qui travaillent régulièrement le bois — Stephan Balkenhol, Constantin Brancusi, Claudia Comte, Martin Puryear, … pour n’en citer que quelques un·e·s –, mais aussi et surtout des formes vues sur des sites de concours de sculpture à la tronçonneuse, ou différents bibelots et objets issus de l’artisanat ou de pratiques dites vernaculaires. À l’instar de la feuille de papier dont se servaient les Surréalistes, je divise à la craie la pièce de bois en trois parties égales. Je commence par travailler l’une des extrémités et cette première forme en amène une autre et ainsi de suite jusqu’à la dernière. Ce qui me motive dans cette pratique est de savoir comment cela commence mais jamais comment cela se termine.

LC : Ces sculptures entretiennent une familiarité évidente avec les mâts totémiques des populations natives du Nord-Ouest de l’Amérique (Alaska, Colombie-Britannique, etc.) ? Vous avez d’ailleurs passé du temps à Vancouver et sur l’île Victoria. Est-ce que ces images vous sont revenues en sculptant ces « totems » ?

LLD : En effet, comment ne pas penser aux totems amérindiens quand on voit mes sculptures en bois verticales, composées d’une superposition de figures ? Mais ce n’était pas intentionnel. Et pourtant, il y a peut-être quelque chose de spirituel dans ces formes, car je ne suis jamais seul quand je travaille à l’atelier, je me sens entouré de fantômes. Cette série est une façon de les convoquer et de leur donner une forme visuelle.

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Laurent Le Deunff, Vue de l’exposition Easter Eggs, galerie Semiose, Paris, 2023 Courtesy of the artist & Semiose, Paris — Photo : DR

LC : Le mode de production et les filières d’approvisionnement ont toujours été une donnée essentielle dans vos sculptures. Vous privilégiez autant que possible le circuit court, la rencontre avec des artisans, les tutos sur Youtube, le travail en atelier, le bricolage. Ce qui se traduit dans une recherche de forme la plus simple, la plus naturelle, la plus immédiate, la plus poreuse de sens. D’où proviennent les matériaux utilisés pour cette série de sculptures ?

LLD : Ce que j’apprécie dans le travail du bois, c’est son économie relative de moyens. C’est important pour moi de travailler en circuit court, avec des essences locales que je peux trouver dans un périmètre restreint. Mon atelier étant dans le Sud-Ouest et mes parents vivant à la campagne, c’est assez facile de me procurer diverses essences de bois. Pour les plus grosses pièces, je fais appel à un ami artiste et ancien forestier, Christophe Doucet, et pour les essences les plus rares, je me fournis auprès d’un retraité qui vit en Bretagne et que j’ai rencontré via un site de vente par correspondance. L’essence de bois que je sculpte est importante : la couleur, la dureté et la forme varient de l’une à l’autre. Le titre de l’œuvre est d’ailleurs attribué en fonction de son essence. Mon souhait serait de sculpter au moins une œuvre dans chaque essence de bois, quitte à me déplacer très loin pour trouver la matière première.

LC : Sur les murs sont accrochés de grands dessins d’explosions de cartoons. Qu’est-ce qui vous fascine autant dans ces explosions burlesques ? Est-ce la stylisation de la catastrophe, qui est une manière de la mettre à distance, de la réduire à une dimension plus facile à appréhender par l’esprit ?

LLD : Ce n’est pas l’explosion qui me fascine — ces dessins ressemblent d’ailleurs plus à des nuages — mais leur représentation dans les dessins animés. Je les obtiens par arrêt sur image. Lorsque, dans un dessin animé, apparaît une explosion, je fais défiler lentement la séquence seconde par seconde jusqu’à trouver l’image satisfaisante. Ces images dont je m’inspire ne sont pas forcément visibles dans le défilement normal du film, car leur temps d’apparition à l’écran est très fugace. Ce qui m’intéresse ici, c’est littéralement l’écran de fumée, la matière qui efface tout, l’interlude, la pause et les transformations qu’elle amène dans le récit.

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Laurent Le Deunff, Vue de l’exposition Easter Eggs, galerie Semiose, Paris, 2023 Courtesy of the artist & Semiose, Paris — Photo : DR

LC : Enfin, à quoi fait référence le titre Easter Eggs (littéralement « œuf de Pâques ») ?

LLD : Je l’ai choisi comme titre pour mon installation dans la project room en raison de son analogie avec un œuf de Pâques, du fait de sa place dans la galerie et l’incongruité des objets que je vais y présenter. Je joue régulièrement à des jeux vidéos avec mon fils, particulièrement à Red Dead Redemption 2, un western mélancolique jouant sur les codes du film de genre dans un monde ouvert que je ne me lasse pas d’explorer dans ces moindres recoins. Les Easter Eggs sont nombreux dans ce jeu : ce sont des niveaux secrets, des phrases référencées, des objets, etc., cachés par les auteurs du jeu.