Les Russes ! Portrait photographique russe — 1970-2010
Exposition
Les Russes ! Portrait photographique russe
1970-2010
Passé : 13 octobre → 30 novembre 2010
Exposition collective, en partenariat avec Russiantearoom
Le portrait est, peut être, le genre dans lequel le photographe se livre le plus, jusque dans son intimité. Il nous raconte une histoire d’une manière la plus condensée possible, et cette histoire peut être celle d’un pays autant que celle d’un enfant. L’exposition que nous nous proposons de monter est à ce titre exemplaire dans son ambition : elle est à la fois artistique, anthropologique, politique. A travers des portraits de Russes, les photographies tenteront de répondre à deux questions en miroir : « qu’est-ce qu’un Russe ? » et « à quoi ressemble la photographie Russe ? »
Pour expliquer un Russe et son pays, on plonge inévitablement dans l’époque soviétique. Tous les photographes dont le travail est présenté à cette exposition, sont nés dans l’Union Soviétique. Aucun n’a été épargné par le virus du soviétisme, hormis, pour la plus jeune génération, ceux qui sont originaires d’un état autrefois république sœur (Ukraine, Georgie, etc.).
Les 40 dernières années en « Russie » (soviétique et post-soviétique) nous donnent une occasion de suivre l’évolution spectaculaire du phénomène de la représentation de soi et de l’autre. Un portrait photographique est souvent une pose, une posture, une image idéale. Du photographe et du modèle, et donc, de l’époque décrite.
« Krasnyi Treugolnik » (Triangle Rouge) était une immense usine de la production en caoutchouc, avec ses héros et héroïnes, son rythme de vie, ses coutumes et son infrastructure sociale développée. Les portraits de studio dignes d’Harcourt, les enfants de la maternelle figés mais néanmoins heureux, incapables encore de cacher leur individualité, les hommes au travail. La cérémonie de la mise en scène fait penser à tant d’autres imposées par d’autres époques dans d’autres pays. Classiques du genre. Artiste biélorusse, Igor Savchenko utilise la photographie comme un plasticien. « Savchenko, sous le prétexte de nous démonter le mystère du cliché, l’essence même d’une époque banalement évoquée par des poses convenues, des personnages sans drames, se veut le metteur en scène d’une histoire que l’on sait tragique, l’annonciateur de cataclysmes humains qui rendent dérisoires voire étranges ces petits détails du quotidien que nous observons sur ses photos. Au-delà de la noirceur du propos, on ne peut s’empêcher de concéder une grâce tremblante à cette humanité exposée au double regard d’un objectif ancien et d’un artiste contemporain » (Hervé le Goff).
Dans la continuité de l’album de « Krasny Trugolnik », Olga Kisseleva établit un parallèle historique dans son installation vidéo, en trois temps. Avec les images des archives cinématographiques, elle évoque les portraits idéaux des ouvriers du passé, et les oppose aux images actuelles faites à une usine à Saint-Pétersbourg. Les ouvriers d’aujourd’hui prennent des poses et sourient avec effort, ils ont du mal à se laisser représenter d’une manière naturelle. Cacher ses peurs, s’enfermer et ne pas laisser apparaître son univers privé, reste toujours un mot d’ordre, issu de l’époque soviétique. Et pour rester critique vis-à-vis de soi, le spectateur est invité à goûter à l’exercice, à être filmé. Une caméra renvoie son image au moment où il commençait à se mettre en confiance. La personne filmée régit à sa propre image. La vidéo est le résultat d’une accumulation de résistances vis-à-vis de soi-même.
Pour comprendre le travail des photographes à partir des années 60s, une petite explication s’impose. Il existait deux catégories de photographes. D’abord, les professionnels – ceux qui gagnaient leur vie de leur travail photographique pour la presse ou grâce à des commandes privées. Les autres étaient des amateurs qui se réunissaient dans les clubs, organisaient des expositions dans des appartements, sans pouvoir revendiquer de publications d’envergure. Ils travaillaient tous à la marge, dans le but de documenter la vie d’un pays, ce que le reportage officiel ne parvenait pas à accomplir. Curieusement, ce sont ces images d’« amateurs » qui paraissent aujourd’hui les plus professionnelles et les plus captivantes, et qu’on montre dans l’exposition.
Chaque photographe trouvait ses propres astuces. L’absurdité est, d’ailleurs, un trait caractéristique principal des réalités russes. En suivant le ton donné par Gogol, plusieurs photographes de diverses décennies l’utilisent comme la seule manière de rester objectif et à la fois fidèle à soi-même.
Sergei Tchilikov met en scène les habitants de la ville de N., en simplement les posant, comme des figurines, dans les paysages facilement identifiables – comme ceux d’un appartement communautaire ou d’un site balnéaire oublié. En se figeant sur place, ils font penser à la scène finale du Reviseur, et ils se regardent, comme dans la glace, et en même temps, observent le spectateur.
Les parodies des « héros » publiques de Vlad Mamyshev-Monrœ sont acerbes et autocritiques. Les images font partie du personnage de l’artiste, qui vit en permanence déguisé, en s’introduisant habillé en Lénine, en Pape ou encore en Poutine dans les contextes controversées.
Le Poutine de Sergey Maximishin, bien que très réel, apparaît comme le mal incarné. Photoreporter Russe le plus réputé de Russie, Maximishin trace un bilan de la « dernière empire ». Ses portraits fins et ironiques sont d’une justesse poignante, à travers lesquels il s’essaie à cerner « le pays sans plafond ni plancher ».
Les photos de la performance provocarice initiale de 1991 d’Oleg Kulik sont les témoins convaincants de la force du désespoir animal et la révolte contre le mal humain.
Dans une veine beaucoup plus classique, mais pas moins forte, on retrouve les images de Valeri Schekoldin et Lyalia Kuznetsova (pour les « anciens »), Nicolai Bakharev, Igor Mukhin et Evgeny Mokhorev (plus jeunes), et Irina Popova, Anya Maysuk, Evgeny Petrushansky et Margo Ovcharenko (pour les très jeunes pousses).
Tendresse, amour, nostalgie, force et beauté émanent de leurs images, rendant inutile toute explication.
Valeri Schekoldin, poète des rues et des êtres abîmés, dresse un portrait d’un pays en détresse et de la population négligée.
Lyalia Kuznetsova prend en photo depuis 40 ans les tsiganes ; ses images poétiques sont enfin ressemblait dans un livre « Doroga » (La Route).
Evgeny Mokhorev travaille le thème du passage de l’enfance à l’âge adulte, en passant par le stade complexe de l’adolescence.
Nicolai Bakharev nous plonge dans l’intimité des couples et familles provinciales ordinaires.
Passé des « valeurs montantes » au rang des classiques,
Igor Moukhin continue de traiter le même sujet : la vie autour de lui. Mais le positivisme des débuts de perestroïka, toute cette jeunesse postsoviétique heureuse et pleine d’espoir et d’énergie, ont disparu de ses photographies. C’est la ville déprimée pleine des gens fatigués qu’on va sur ses images d’aujourd’hui. Après le réveil, la triste gueule du bois…
Irina Popova raconte des histoires, dont celle d’un jeune couple de drogués et leur petite fille Anfisa.
Margo Ovcharenko, à 20 ans, suit les états marginaux des jeunes gens de sa génération.
Sur le croisement de deux chemins – ceux de la photographie réaliste et de la mise en scène, le fantastique occupe une place à part. Pendant longtemps, l’homme du futur était égal à l’homme communiste, et son portrait s’ancrait dans l’imaginaire collectif. Un cosmonaute, avec son expression de maître du monde conscient de sa force, et quelques gadgets en plus, faisait très bien l’affaire. Dans le monde d’aujourd’hui, la tâche s’avère être plus complexe. Les personnages d’Oleg Dou, tissés de chair humaine, lissés à l’image d’une publicité, dépourvu d’émotions et robotisés, laissent passer une lueur de l’espoir à travers les yeux qui parlent. Troublant présent ou futur très proche ?
Pour finir, un projet sera présenté sous forme de projection. En première mondiale, le projet « Title Nation », de Jason Eskenazi et Valeri Nistratov, deux photographes réputés qui ont parcouru le pays 2 ans durant pour constituer un panorama exhaustif d’archétypes russes.
Quelque soit leur génération, les artistes Russes réunis ici ont donc le lourd privilège de participer à une question majeure : comment définir la photographie russe ? D’un côté soudainement exposés aux modes et aux tendances occidentales, influencés par les meilleurs exemples occidentaux, de l’autre marqués jusqu’au fond de leur être par le post soviétisme et un millénaire ‘d’âme russe’, comment définiront-ils leur spécificité ? Cette exposition est un premier élément de réponse, qui convainc en tout cas que celle-ci sera originale, étonnante, dérangeante – comme le fut en son temps la littérature russe.
Les artistes
- Sergey Maximishin
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Igor Savchenko
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Olga Kisseleva
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Yuri Rybchinsky
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Sergei Tchilikov
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Arsen Savadov
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Valeri Schekoldin
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Lyalia Kuznetsova
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Nicolai Bakharev
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Irina Popova