Liz Magor — Xhilaration
Exposition
Liz Magor
Xhilaration
Passé : 5 septembre → 26 octobre 2019
Liz Magor — Galerie Marcelle Alix Présentée du 05 septembre au 26 octobre à la galerie Marcelle Alix, Liz Magor développe un œuvre qui s’attache à repenser les liens... CritiqueQuelqu’un m’a posé un jour une simple question une question ridiculement simple et je lui ai donné une réponse ridiculement simple : « qu’est-ce qu’un artiste » m’a-t-il demandé et j’ai dit « quelqu’un qui fait de son mieux » depuis j’ai dit ça tant de fois que j’ai commencé à y croire, parce qu’à la réflexion il y a très peu de gens dans ce monde qui font de leur mieux.
David Antin, je n’ai jamais su quelle heure il était, Genève, Héros-Limite, 2006, p. 65
J’aime nager. Je n’ai pas de technique, mais je nage longuement, si possible en plein air. Mon moment préféré est celui où le soleil se cache laissant place au calme « blanc », ce calme qui ne produit aucun scintillement, aucune distraction et me renvoie à l’infinie douceur de l’eau.
Ces jours-là, je suis plus endurante et l’inertie fluidifie non seulement les mouvements du corps mais la pensée elle-même, l’entraînant çà et là. D’abord du côté de l’animal, la pensée guette le réel, se pose sur ses différentes dimensions tel l’oiseau, puis vient le moment où celle-ci s’approvisionne, selon l’esprit humain, en temporalités différentes, pour finir par s’attacher à une organisation d’ensemble qu’elle décrypte cette fois sans grand effort.
Dans ces moments-là, je pense aux œuvres d’art et change ma position de spectatrice déjà très privilégiée puisque je peux les toucher. Je ne suis plus devant elles, mais avec elles, dans leur intériorité profonde où se confond le désir de l’artiste, les contraintes de la matière et une rêverie partagée. Au milieu de l’eau (dans l’eau nous sommes toujours au milieu), je suis souvent avec des œuvres. Dernièrement, c’est avec celles tout à la fois porteuses et portées de Liz Magor que ma séance a connu un petit excès d’éblouissement.
Depuis la découverte de ce travail en 2013, je me suis toujours sentie bien à proximité de ces moulages de boîtes en carton jouant les sculptures du dessous pour des objets « exposés », le plus souvent produits commercialement et propres à matérialiser les incessants aller-retour de l’artiste entre son atelier et le monde.
Ces boîtes artisanales (que quelques minimalistes forcenés voudraient contempler seules) font le lien avec d’improbables reliques (bestiaire synthétique, oiseaux taxidermisés, vêtements, magazines, etc) dont la valeur est avant tout affective. Leur exposition permet un transfert d’affection, une manière de contaminer tous ceux et celles qui n’ont jamais le temps de s’approcher d’une œuvre d’art. Les sculptures de Liz Magor ne font pas image. Si l’on accepte de se confronter à elles, c’est qu’on est prêt à tenter de se souvenir que l’objet raconte toujours un vide qu’il matérialise et cache en même temps.
Ces sculptures nous mènent à des visions drolatiques et funestes générées par de subtils enchaînements (pour ne pas dire assemblages) dont un des plus remarquable me semble être Drinks around the world (2017), une sculpture qui défie la pesanteur avec humour. Cette fois, un chien en peluche épouse avec souplesse la forme un peu cabossée d’une boîte qui lui est presque assortie. Ses membres antérieurs, très allongés, pendent dans le vide non pas mollement mais avec de l’idée puisqu’ils retiennent, grâce à la soudure d’un scratch invisible placé au bout des mains-coussinets, un sac plastique raisonnablement rempli de mignonnettes d’alcool.
Nager me permet de mieux ressentir cette vision puisque j’étire régulièrement mes bras. Je pense au moment où la main vient trouver une possibilité d’arrimage, tandis que le reste du corps flotte, porté par le courant que crée le système de filtration de la piscine et plus sûrement par le sentiment qu’il nous faut une raison suffisante pour en sortir. C’est exactement ça, un équilibre prolongé à l’infini, l’équilibre des masses ou un jeu de mime pour raconter une vision du monde unifiée par la dépendance.
Le musée personnel de Liz a déjà ses boîtes et elles sont nombreuses. Nombreuses sont celles qui jouent sur des effets de transparence contrairement aux moulages en gypse polymérisé que j’aime beaucoup pour leur côté caillou taillé ou stèle polychrome aux effets étonnamment irisés. Il ne fait aucun doute pour moi depuis le début que ce travail partage le même goût pour les banquets funèbres de l’Egypte antique.
Les œuvres de Liz ne luttent pas contre le temps, elles traduisent de paisibles affects et pensent la séparation des choses mais avec une liaison possible. Je crois en cette liaison moi aussi. Et lorsque je regarde l’alignement de boîtes déballées, sortes de « Time Capsules » aux identités multiples, contenant des vêtements (ou des chaussures, comme Xhilaration, 2019) ou plutôt devrait-on dire dans le langage de la mode, des silhouettes, j’y vois des générations que le temps ne sépare pas.
J’imagine la tenue que je pourrais porter ou qui m’attend déjà, ainsi que celles de mes ami·e·s. Pendant ce temps, je n’oublie pas que je nage dans une boîte sans horloge à proximité.
Liz Magor
Née en 1948, elle vit à Vancouver (Canada). Artiste importante de la scène canadienne, elle a participé à plusieurs expositions de groupe à la Vancouver Art Gallery; à la National Art Gallery à Ottawa; au Seattle Art Museum, au Wattis Institute, à Documenta 8 et à la Biennale de Venise. Triangle Marseille a réintroduit son travail en Europe en 2013 (cur. Céline Kopp) et en 2017, sa rétrospective, initiée par le Musée d’Art Contemporain de Montréal, a été l’objet d’une tournée au Migros Museum Zurich, au Kunstverein à Hambourg et au MAMAC à Nice. Elle a été en résidence au DAAD à Berlin en 2017-2018. Cette année, son exposition personnelle Blowout a été présentée à la Renaissance Society de Chicago et au Carpenter Center for the Visual Arts de Cambridge.
La publication BLOWOUT sera présentée le 28 septembre à la galerie dans le cadre du Salon de Marcelle Alix #5.
L’artiste
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Liz Magor