Louis Gary — Mathilde et Mylène

Exposition

Sculpture

Louis Gary
Mathilde et Mylène

Passé : 9 mai → 29 juin 2019

À quoi s’attendre avec une exposition qui s’appelle Mathilde & Mylène ? Réponse circonstanciée de Louis Gary : “Cela évoque à la fois un titre de film d’Éric Rohmer qui n’existe pas, un duo de chanteuses de seconde zone, ou bien une pancarte ornée de ballons, au bord d’une route, pour signaler la tenue d’un anniversaire. Et, en même temps, c’est simplement le titre d’une œuvre, et simplement le prénom des deux personnes qui travaillent dans le lieu même où se tient l’expo : en même temps absolument fantasmatique, fictionnel et terre-à-terre.”

PREMICES
L’histoire débuterait donc ainsi, sur quelque chose de primesautier, personnel et polysémique. Si Louis Gary propose des formes délimitées (par un médium, une qualité de geste, une typologie d’objet), s’il sectorise et jamais n’amalgame ses différentes pratiques, il n’aime pas non plus jalonner les lectures. Parfois il faut prendre des routes très indirectes pour aller aux choses, parfois il faut faire le contraire. Ses œuvres, qui stimulent la concentration de qui les regarde, ne révèlent pas vraiment comment elles doivent être regardées.

HORIZON
Pour Mathilde & Mylène, le diapason serait-il photographique ? Aux murs de l’espace d’exposition, un capitaine se tient, hiératique, debout sur son bateau, une plante capte la lumière et des silhouettes féminines, plus ou moins nues, se fondent dans la moquette ou sont mangées par la nuit : telles sont les figures tutélaires qui se donnent la main autour de l’exposition, lui dessinent une sorte de périmètre mental qui peut se dilater souplement, avec cette ouverture sur la mer et tout ce foisonnement végétal. Horizon élargi. Ennui ou extase. Matière existentielle paisible. Mystère de l’amour et de l’amitié. Respiration. L’ensemble problématise des idées diverses : peu à l’aise avec la question du sujet en photographie, Louis Gary raccroche davantage ce médium à une histoire de situations, ici amicales et géographiques. Toutes ces photographies sont des portraits par ricochet, qui disent aussi le rapport au paysage, la filiation, la représentation de l’artiste (soi-même et l’autre), la belle banalité d’une certaine esthétique minimale. Pour l’accrochage, l’artiste fuit la mise en page iconisante, où le regard serait trop balisé : il n’en rajoute pas non plus côté photo vintage, ses images prises à la chambre avec du film radiographique portent cela suffisamment dans leur ADN. L’encadrement, 100% plastique blanc laiteux, renseigne bien sur la précision des intentions.

MENER EN BATEAU
Que se passe-t-il lorsqu’un bateau en croise un autre ? Qu’ils se rapprochent puis s’éloignent ? Louis Gary se livre ici à cette petite intrigue spéculative, simple et complexe à la fois. Au centre de l’espace, il fait trôner une sculpture qui ressemble à un bateau préhistorique en pâte à tarte, avec un rebord pour que les bonhommes ne tombent pas. Cette embarcation, à la surface texturée façon faux-rocher pour boîte de nuit tropicale, abrite un passager animal de facture brute, une sorte de chien triangle qui contemple sa niche triangle, bâtie comme un château de carte. Le contraste chromatique (vert prairie versus orange ocre) pique la rétine. Le drame qui se joue ici (pourquoi ce bateau est-il coupé en trois ? à quoi sert cette bonde ?) est aussi celui des volumes et des surfaces, des pleins et des vides, des codes couleurs. Louis Gary cherche la limite, cette borderline où se mêlent des gestes de sculpture basiques (les attributs archétypaux de la préhistoire, pré-révolution néolithique, sont là) et des réflexions sur un art qui ne dit pas clairement son destinataire. Ce qui était bateau est devenu conversation piece*, et plus le visiteur s’efforce d’en enclore le sens, plus l’incertitude le gagne, plus il regarde alentour.

MONGOLOS
Alentour, il trouve quelques Mongolos. Si l’appellation n’est pas politiquement correcte, elle n’est pas péjorative non plus : elle désigne, dans la production sculpturale de Louis Gary, des objets empiriques, qui ne sont pas savants mais ne relèvent pas non plus de l’art brut, des objets qui témoignent d’un élan figuratif, longtemps refoulé par l’artiste. Les Mongolos ont d’abord adopté des couleurs douces et des formes assez lisses, laquées : le mystère peut toutefois surgir de la ligne claire ! Ces derniers temps, ils deviennent plus rêches, ils balancent davantage entre peinture et coloriage et se coltinent la brutalité des surfaces.

HORS-CHAMP ÉRECTILE
Retour sur les deux héroïnes qui travaillent là, Mathilde & Mylène, mises en abyme par Louis Gary dans un bas-relief au titre éponyme, accroché précisément sur leur bureau de travail : avec ce miroir mal fait, l’artiste distille à nouveau le doute, sur son rapport au réel, à la sculpture, à la peinture et au design mobilier. Il marque aussi son intérêt pour la question du décoratif comme principe de proximité. En bas à droite de ce bas-relief qui s’apparente à un habillage de comptoir aux accents cartoon, une trappe s’ouvre et laisse apercevoir la vue d’une clairière, au milieu de laquelle se trouve un dolmen : le hors-champ érectile de l’exposition se cache peut-être là, dans le Morbihan en été, à contempler un geste simple, soit toute l’humanité projetée dans un bout de caillou.

 — Éva Prouteau, texte de présentation de l’exposition Mathilde & Mylène, avril 2019.

→ Éva Prouteau écrit sur l’art, et pour les artistes. Ses textes transitent sur des supports variés, du catalogue monographique au communiqué de presse. Elle travaille en collaboration avec les revues 303 et Zérodeux. Elle fait des conférences dans les centres d’art et enseigne parfois en école d’art. Elle prend très au sérieux la devise de Charles & Ray Eames : « Prends ton plaisir au sérieux. »

  • Le « tableau de conversation» se développa surtout au XVIIIe siècle en Angleterre. Il existe de nombreuses variétés de conversation pieces. Les gens peuvent être représentés en train d’effectuer des activités communes telles que la chasse, le repas, ou jouer de la musique. Les animaux de compagnie, chiens ou chevaux, sont aussi fréquemment peints. Parfois, l’ameublement et le décor de la pièce constituent le seul sujet de ces œuvres, on parle dans ces cas-là de « portraits d’intérieur ». Aujourd’hui, ce que les Anglais nomment a conversation piece «désigne un objet plus ou moins d’art qui, par un certain trait d’étrangeté, attire l’attention et suscite la parole. Ce serait en somme un sujet de conversation, mais en dur. », écrit Gérard Wajcman (Collection, Nous éditions, 2003).
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