Margaret Dearing et Timothée Schelstraete — concentré sans raison une seconde de trop #2
Exposition
Margaret Dearing et Timothée Schelstraete
concentré sans raison une seconde de trop #2
Passé : 7 → 29 novembre 2015
L’inachèvement comme forme
La photographie de Margaret Dearing, la peinture de Timothée Schelstraete sont affaire de détails, de ceux qui s’obtiennent par ponction d’une partie sur un plus vaste ensemble. De fait, les coupes sont franches. Comme dans ces all over de la série Délitement où les tirages argentiques prélèvent, à bords perdus, juste une fraction de motifs répétés — la structure en quinconce des bardeaux, l’enfilade de blocs de béton se prolongeant d’évidence au-delà de ce que l’image en rend. Quant aux toiles, leurs formats pourtant grands peinent chaque fois à contenir un objet dans son entièreté. Signum montre un reflet visiblement amputé dans sa partie basse, Pôle une grille dont les angles sont rognés par un cadre un brin trop rapproché. Et lorsque l’effet de zoom avant est encore appuyé, excluant tout contexte, comme dans Rétroactif : le très gros plan serre si près l’angle arrondi d’une pièce de carrosserie que la composition s’abstrait presque. Etonnant, d’ailleurs, de voir comment Timothée Schelstraete et Margaret Dearing se rapprochent ainsi de leurs « sujets » sans céder au rendu d’une saisie naturaliste. Car si leurs cadrages cherchent la proximité ce n’est pas pour la précision, ni l’exactitude que ce point de vue confère, mais bien pour sursignifier l’acte de sélection qu’il implique : ce geste arbitraire qui vient détacher un morceau choisi du tout, et l’autonomise. Quitte à rendre plus ardue la perception de la chose représentée — ne la donner qu’incomplètement ou sans ce qui lui est extérieur, c’est assurément en compliquer les formes.
Margaret Dearing et Timothée Schelstraete cherchent ce cadre dont la section permet de briser l’automaticité de lecture, sans toutefois aller jusqu’à rendre leur objet méconnaissable. Ainsi soumis à une relative atopie, les infrastructures urbaines, les artefacts industriels, toutes ces occurrences des plus quotidiennes que l’un et l’autre représentent, procurent une impression persistante d’inquiétante familiarité. Une appréhension sourde, encore augmentée par l’omniprésence de traces d’érosion, de dégradation — l’oxydation ternissant systématiquement le rendu du métal sur les toiles, les photographies de dépôts, de surfaces marbrées de ruissellements douteux. Mieux, ce cliché du lacis d’une vitre brisée, à terre : en plus de l’espace, c’est ici le temps qui est envisagé de façon parcellaire. L’image est après-coup, l’évènement anonyme. L’effet, isolé, n’a pas de cause énoncée — ce qui, assurément, en renforce la violence. Margaret Dearing et Timothée Schelstraete partagent donc une même inclination à travailler par extraction, par découpage, s’attachant à toujours rendre le caractère partiel de cette saisie. En suggérant la continuité vers un espace off ou, à l’opposé, en dissociant de façon drastique un seul élément du tout, chacun dit ce hors-champ, véritable procédé de mise en forme. Et jusque dans leur choix d’accrochage, lequel reprend en toute logique cette méthode de composition fragmentaire : sur le pourtour de la galerie les pièces s’étagent de part et d’autre d’une ligne à mi-hauteur du mur, délaissant exprès cette zone médiane sur laquelle le regard se pose de façon automatique, passive. Cette mise en espace amenant à considérer tableaux, photographies très en hauteur ou près du sol, oblige un certain inconfort ; d’autant que les angles de vue des œuvres — plongées, contre-plongées appuyées — s’en trouvent parfois contrariés, ce qui ajoute encore au trouble.
Tout pour contrecarrer un ordonnancement systématique, l’enjeu de cette rencontre résidant, a contrario, dans la capacité que ces deux artistes ont de faire somme par divers modes de l’interruption. Timothée Schelstraete et Margaret Dearing proposent à la Progress Gallery un ensemble répondant de ce qui, précisément, ne fait d’ordinaire pas ensemble. Ce qui leur permet d’échapper à toute linéarité : leurs œuvres ici réunies sont autant de fragments entre lesquels, de mur en mur, et sans hiérarchie aucune, des glissements de forme, de sens surviennent. Autant d’éléments qui, dès lors qu’on leur consacre l’attention flottante qu’ils requièrent, dialoguent, de proche en proche, par déplacement et association. Invitant donc à dérouler quelque séquence sans toutefois s’embarrasser d’un début ou d’une fin, sans chercher de climax, ni espérer de dénouement — en définitive, sans attacher d’importance particulière à un détail de préférence à un autre. Voilà ce que Margaret Dearing et Timothée Schelstraete mettent en œuvre dans cette exposition dont l’unité profonde, substantielle, repose sur la coexistence libre et égale des pièces qui la composent ; et c’est aussi la condition pour s’abandonner à cet inachèvement qui hante leurs images.
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Vernissage Samedi 7 novembre 2015 19:00 → 22:00
Les artistes
- Margaret Dearing
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Timothée Schelstraete