Marie Cool Fabio Balducci — Spiaggiamento
Exposition
Marie Cool Fabio Balducci
Spiaggiamento
Passé : 14 septembre → 28 octobre 2017
L’œuvre de Marie Cool Fabio Balducci est superbement aphone. Qui peut savoir comment fonctionnent deux personnes occupées en permanence à partager leur intensité extrême à travers l’acte de créer ? De cette intensité naît une étrange chaîne de visions qui oscillent entre le secret et une éventuelle révélation. Leur désir, toujours intact, de faire des formes qui ont une réalité physique ne va pas sans une obscurité — une humeur souvent corrompue — avec laquelle ils sont accordés depuis toujours. Tous deux sont d’eau et de pierre, impraticables parfois, vivant une vie de producteurs de formes qui ne sont pas toutes prêtes à exister à travers l’exposition. Ils nous renvoient à une pensée de l’œuvre conçue comme un organisme énigmatique accroché à la vie même, sans quoi, elle ne serait qu’une simple distraction. Pensons à l’œuvre d’art comme à ces grandes étendues d’eau, parfois calmes, parfois déchaînées, dans lesquelles le ciel se reflète. Si nous ne savons pas ce qu’est la vie, pourquoi une œuvre d’art devrait-elle être à nos yeux plus limpide ? Marie Cool Fabio Balducci détiennent ensemble cette force enviable : ils donneront toujours plus d’importance au naufrage lui-même plutôt qu’à sa transcription. Ils préfèreront toujours l’action à l’intrigue, une conscience concentrée sur le présent plutôt que l’idée d’une vocation héroïque. Avec eux, « cela se passe » par les gestes et les images et cela n’en demeure pas moins le droit récit de nos vies sur terre, dans ce monde faux, cruel et beau.
Depuis de nombreuses années, le corps de Marie Cool s’est imposé, figure de peinture « pâle et tenace comme un fossile »1. On aura longuement navigué entre la Vénus, la Diane et les demi-déesses nous livrant peut-être de nouvelles histoires, avant de comprendre que ce travail n’est pas dans un rapport académique aux œuvres d’art. On l’a même précisément transformée dans nos esprits en Ninfa ou en Gradiva, faisant de Marie Cool l’image dont on tombe amoureux. Il est facile de se laisser déborder par son imagination en observant ce corps léger côtoyer les objets comme si, sans distinction aucune, leurs vies et leurs destinées étaient celles des plus beaux tableaux, lorsque entre tous les éléments de la composition, comprenant les êtres et les objets, s’aménage une idiorythmie, nourrie par des principes de continuité et de réciprocité. Pourtant, lorsque Marie Cool agit devant nous dans les espaces d’exposition, elle dévoile sans prudence ses énergies vitales, dans une pure activité supposée sans fin.
La peinture n’est pas le centre de ce désordre peu commun. C’est le monde d’avant l’œuvre dont il est question, celui qui met l’artiste au travail, établissant un lien indéfectible avec « la personne d’en face » (commissaire, galeriste, collectionneur, regardeur) qui attend que l’artiste ne se préoccupe de rien d’autre que de son travail. Ce qui s’esquisse méticuleusement dans les actions et leurs multiples variations, c’est le temps du travail, ces journées que l’on donne à la société, ce visage impassible qui instruit cette activité économique, avec ses mains, ce corps tout entier qui ne dit rien du poids de l’exercice mais affiche un esprit suffisamment libre et désencombré pour troubler celui ou celle qui n’y voit aucune rentabilité. Des séquences récentes montrent le corps de Fabio Balducci exécutant un geste énigmatique devant une fenêtre, sorte de plongeon à la beauté stylisée. Marie Cool dans une autre séquence répond au même désir de fermer ses bras autour de sa tête devant la vitre d’une fenêtre ruisselante d’eau de pluie. Un corps qui s’apprête à passer un seuil donne toujours le sentiment d’une transformation ou d’une métamorphose. Ils semblent prêts à changer de peau, dans l’antre d’un intérieur glacé comme des bureaux fermés pour la nuit. Les dernières actions nous placent devant des éclipses répétitives et significatives d’une faillite, « Lo Spiaggiamento » du système néo-libéral qui gouverne les êtres humains, la faillite d’une activité et ce qu’elle engendre : disparition des corps, dispersion des objets ou échouage de ces derniers.
La table, le crayon, le papier, la ficelle, le miroir, la lumière ont toujours été les matériaux et outils d’un éclatement par lequel chacun de ces éléments prend son autonomie, où les êtres humains comme les objets affichent une course dans le temps qui ne craint ni la lumière ni l’ombre, pas plus que le mouvement ou l’interruption brutale. On passe de la beauté tranquille du tableau classique à la vie de bureau, elle aussi puissamment organisée. La lumière est l’élément central de cette œuvre qui donne l’impression de changer avec lenteur, alors qu’elle ne cesse de réagir à son environnement immédiat. La lumière, toujours mentionnée sur la fiche technique des œuvres, ne saurait être écartée, tant elle fabrique avec douceur et violence le trait d’union entre l’espace d’exposition et l’histoire d’une ville. À la Documenta, du côté d’Athènes, Marie Cool Fabio Balducci ont confié à la lumière le soin de transformer l’espace et tout ce qui s’y trouvait. De larges bureaux massifs installés verticalement, suivaient la course du soleil grâce au soutien de Marie Cool, les faisant pivoter sur eux-mêmes minute après minute. L’action était programmée pour disparaître au fil des mois sous l’influence de la lumière naturelle, plus généreuse dans cette partie du musée. C’est une belle espérance d’attendre que le musée et les œuvres qui s’y trouvent nous invitent à reconsidérer ce qui est au dehors avec une plus grande conscience, mais l’espoir selon le duo (qui reprend volontiers les mots du réalisateur Mario Monicelli) est « un piège », « une chose infâme inventée par qui commande ». L’espoir s’est bel et bien enfui à Cassel, où Marie Cool a promené sa main sur la surface collante d’un scotch tendu suffisamment haut dans l’espace et quasi-invisible. Seul le bruit de ses doigts qui résistent à une adhésion trop forte pour avancer permettait de comprendre l’extrême tension de la proposition, tel le bruit discret et terrible de l’insecte venant frapper la vitre avec obstination.
L’exposition à la galerie sera d’une immobilité vraie. Peut-être que le mot exposition n’a pas sa place puisqu’il s’agit d’y constater un phénomène ou des présences qui ne s’inscrivent pas dans un récit particulier. Tout ce qui se trouve dans nos espaces sera figé, engravé profondément. C’est plutôt l’exposition d’un fait d’actualité qui dit: ça existe, mais on ne sait pas vraiment pourquoi. Disons qu’aucune hypothèse ne prévaut et qu’il vaut mieux faire simple et s’en tenir à des pensées courtes. Les objets savent se mettre sur le flanc quand il ne leur sert plus à rien d’offrir leur grande surface plate et lisse aux usagers. Les écrans peuvent eux aussi refuser jusqu’à cette neige grésillante qui saurait passer pour bavarde et réconfortante. Quand tout s’éteint où conduit la nuit ?
CB
1 Georges Didi-Huberman, Ninfa moderna : Essai sur le drapé tombé, Gallimard, Paris, 2002, p.
———
Le travail de Marie Cool Fabio Balducci a été montré à la Documenta 14 à Athènes. Leur proposition est visible à Cassel (Documenta Halle) jusqu’au 17 septembre. Ils participeront en octobre à une exposition de groupe au Marta Herford Museum en Allemagne et bénéficieront d’une exposition personnelle en avril 2018 à la Verrière à Bruxelles (cur. Guillaume Désanges). On a pu voir leur travail dans des expositions personnelles à Site Gallery, Sheffield, à La Maison Rouge, Paris et à Attitudes, Genève en 2008, à la South London Gallery en 2009, au CAC Brétigny en 2010, à la Villa Medicis, Rome en 2011, à La Synagogue de Delme, au FRAC Lorraine, Metz et au Consortium, Dijon en 2012-2013. Ils ont également participé aux expositions collectives On Line : Drawing through the Twentieth Century (cur. Connie Butler et Catherine de Zegher) au MoMA, New York (2010), La Monnaie Vivante (cur. Pierre Bal-Blanc, 2010) et La cavalerie au CAN, Neuchâtel (2013).
Les artistes
-
Marie Cool & Fabio Balducci