Mira Schor — Margin of Safety
Exposition
Mira Schor
Margin of Safety
Passé : 14 mars → 18 mai 2024
Isabelle Alfonsi : Le travail de Mira Schor, s’il s’accompagne d’une pensée publiée par l’artiste depuis une quarantaine d’année qui nous guide vers la compréhension intime des œuvres, est tout entier voué au plaisir visuel à partir du point de vue d’une femme. Il s’adresse ainsi à la fois aux sens et à l’esprit et « ce qu’il nous fait » ne pourrait être plus entier. Si par hasard nous n’étions pas sensibles aux toiles libres de la première exposition, le travail sur papier de la deuxième et son armée de « Power Figures » installée au sous-sol, saura s’adresser à notre besoin de trouver puissance et figures d’émancipation dans les représentations contemporaines. Ces autoportraits en « figures stylisées » trouvent leur contrepartie dans les « Peintures noires » de la dernière salle de l’exposition. Inspirées par les différents scandales de la présidence de Donald Trump, elles tournent en ridicule les tentatives de l’ancien Président des Etats-Unis de transformer de vulgaires signes de masculinité toxique en signes de pouvoir.
Isaac Lyles : Isabelle, j’admire la façon dont toi et Cécilia avez organisé votre exposition « Margin of Safety » et la manière dont elle contribuera à approfondir la compréhension de l’œuvre de Mira à Paris, en Europe et au-delà. En commençant par des œuvres jamais exposées auparavant de sa première série « Dress » (1975)« Mask » (1977) et « Margin of Safety » (1994) qui faisait initialement partie de la monumentale « War Frieze » (1991-94), mesurant 60 mètres de long, et en l’achevant par sa toile la plus récente intitulée « Torn », je crois que cela sera un tour de force en termes de complexité matérielle et formelle, couplé à de puissantes réflexions sur le corps, la mortalité, la sexualité, le patriarcat et la menace persistante d’une présidence de Trump. J’apprécie la manière dont votre exposition se concentre sur des corpus spécifiques, notamment les « Power Figures » (2015-16) et les « Black Paintings » (2017-18) pour les associer à d’autres œuvres soigneusement choisies à travers son œuvre. L’engagement continu de Mira envers la peinture en tant que moyen d’aborder le pouvoir et notre expérience vécue dans toute sa vulnérabilité est évident dans ces deux expositions.
Plusieurs œuvres font le lien entre les deux expositions simultanées chez Marcelle Alix et Lyles & King : « Margin of Safety », « Torn » et la série des masques. Mon espoir est que l’exposition de New York contextualisera ces œuvres dans le cadre de son œuvre plus vaste, car je l’ai pensée en mettant l’accent sur les aspects poétiques, corporels et psychologiques de son travail que je pense avoir été négligés en raison des positions politiques et féministes radicales de Mira, ainsi que de son travail en tant qu’écrivaine. Dans notre monde saturé, l’œuvre étendue de Mira a été reléguée en-deçà de son travail d’autrice, mais l’impact atavique, humain et poétique de son œuvre plastique provient d’un monde intérieur plus difficile à articuler. L’œuvre de Mira contient des multitudes. Elle articule sa vie à travers de multiples médiums avec des oscillations nuancées dans les stratégies de représentation et dans sa relation au langage et au corps. Je pense que nos deux expositions présenteront le travail de Mira dans une dynamique qui n’a pas encore été expérimentée. La cohérence de son œuvre et la détermination dont elle fait preuve dans la mission qu’elle se donne s’expriment avec une gamme virtuose de stratégies formelles et matérielles.
Cécilia Becanovic : En 2022, lors de la première exposition personnelle de Mira Schor à la galerie, alors qu’elle accompagnait chacune de nos propositions d’accrochage avec attention et bienveillance, j’eus le sentiment que se produisait ce que bien des imaginaires espèrent d’une œuvre: quelle soit une réalité vivante, un objet tangible qui nous réponde et parle avec nous. Après son retour à New York, après la fin de son exposition avec laquelle nous aurions pu vivre longtemps sans que rien ne s’use, quelque chose advint qui a eu un effet concret sur moi. Ce qui était vivant, ce qui me donnait plus d’énergie et plus d’envie, c’était ce talent de Mira Schor pour décrire sa vie intérieure, les promesses à tenir et la confrontation durable avec un monde où le surgissement de choses dangereuses et effrayantes entraînent à rompre le silence quotidiennement. La peinture de Mira Schor est comme un acte de divination par les entrailles, à l’image de cette grande peinture libre dont la toile incisée ouvre le corps féminin représenté. Si nous ne sommes jamais à l’abri d’une déflagration intérieure, l’acte de peindre chez Mira Schor est une manière de se montrer sans complexe, tel un formidable corps vivant dont le champ de vision s’élargit en longueur et en profondeur, hors d’un mouvement structural, historique et esthétique (que Mira analyse si finement), avant tout poussé par des émotions neuves. Son travail me semble reposer sur un échange de forces et d’énergies dont on peut profiter pour voir l’avènement de ce que chacun de nous a en propre, quel que soit notre vécu et notre manière de revisiter, par la création, les circonstances politiques.
Née en 1950, Mira Schor est une peintre et autrice new-yorkaise. Elle est diplômée du California Institute of the Arts en 1973. Son travail a été présenté dans une exposition personnelle à la Bourse de Commerce de la Fondation Pinault (2024) et dans des expositions collectives à June (2021), Kunsthaus Graz (2020), Kestner Gesellschaft (2019), The Jewish Museum (2010), Hammer Museum (1996) et P.S.1 (1992). Elle a reçu plusieurs prix pour son travail de peinture de la part d’institutions telles que le Guggenheim, Rockefeller Foundation, Marie Walsh Sharpe, Pollock-Krasner Foundation et a reçu le prix Frank Jewett Mather de la part du College Art Association pour ses écrits sur l’art. En 2019, elle obtient le prix Lifetime Achievement de la part de l’association Women’s Caucus for Art pour l’ensemble de sa carrière d’artiste féministe. Mira Schor est représentée par Lyles & King à New York et Marcelle Alix à Paris.