My-Lan Hoang-Thuy — +1
Exposition

My-Lan Hoang-Thuy
+1
Dans 5 jours : 18 octobre → 15 novembre 2025
Dans l’exposition +1, My-Lan Hoang-Thuy présente un corpus d’œuvres abstraites et quelques portraits dans lesquels on devine parfois son ventre arrondi. Cette série déploie une théâtralité picturale camp : tous les autoportraits, figuratifs ou non, travaillent une réappropriation du corps, du temps et des émotions. Les feuilles de peintures sont montées en couches et les textures sont exacerbées par la brillance, les couleurs, les transparences des lavis ou l’épaisseur des enduits. Les surfaces semblent si croustillantes que la commissaire Clothilde Morette a longtemps pensé qu’il s’agissait de plaques de céramique émaillée 1. Elle relevait également l’intérêt de l’artiste pour le présent et ses reliquats « inconsidérés » : emballages, fragments de peinture séchée…
Cette pratique du montage est économique, ornementale et sociale. Les incrustations et chevauchements de matières témoignent d’un rapport autobiographique et environnemental au présent, à sa collecte et à son archivage — comme l’artiste le fait avec son téléphone 2. Les objets sont remplis d’histoires superposées et « de choses de la vie ». My-Lan Hoang-Thuy explique :
Il suffit de tendre la main pour y voir une beauté. J’aime travailler avec la modestie de ces matériaux et les prendre pour leurs existences réelles que j’intègre dans mon écosystème naturel. Je qualifierais même cette pratique “d’écologique” : je la vois comme une prise de responsabilité par rapport à la réalité de ma vie et du monde 3.
Coulées à plat, ces œuvres proposent des alternatives processuelles à l’art de l’autoportrait — comme Hanne Darboven qui utilise des écritures et des chiffres afin d’inscrire sa présence dans le temps et l’acte de faire. Les formes témoignent aussi d’un intérêt pour la précarité et les enjeux politiques et esthétiques de l’autoreprésentation — parfois traversés d’affects « moches » au sens qu’en donne Sianne Ngai 4. La théoricienne postule que des expressions excessives et trop animées, souvent en raison d’un manque de maîtrise de soi, sont disqualifiées car minoritaires et peu représentées. Il s’agit d’une assignation souvent réservée aux communautés racisées, un affect disqualifiant (attribué et produit par le regard dominant) et aliénant (pour le sujet de ce regard qui se perçoit comme trop agité). Mais pas d’excuses ni de fausses pudeurs. Les œuvres au format portrait sont accrochées à la hauteur du visage comme si elles nous regardaient.
Dans l’exposition se trouvent deux autoportraits seins nus, imprimés sur d’épaisses couches de peintures argentées. La matière crémeuse leur confère un caractère tactile. Leur brillance et leur iconographie invitent à la caresse, mais relèvent aussi d’un tabou car il s’agit du corps nu enceint d’une jeune femme racisée. Ses lignes se fondent dans la matière tournoyante, signée du bout du doigt d’un « My-Lan » presque romanesque. Elle affirme que le contenu de cette écriture importe peu. Je crois pourtant le contraire car la pratique de l’autoportrait dramatise toujours les enjeux de la légitimation, de l’affirmation subjective et identitaire — au risque de paraître, comme ici, trop expressive, subjective, donc « laide ». Et l’image est signée trois fois : dans la représentation, sur la matière et le certificat d’authenticité. Pourquoi une telle obstination ?
En 2009, My-Lan Hoang-Thuy avait imprimé ses autoportraits nus sur des pétales de fleurs de lys, disposées au sol dans des bouteilles d’eau peintes en blanc. Ces œuvres occupaient physiquement l’espace de manière dramatique tout en affichant une certaine clandestinité. Une fois fanées, les fleurs étaient jetées. En 2023, dans son exposition personnelle à la Maison Européenne de la Photographie (Paris), intitulée Femme Actuelle, l’artiste présentait une série de petits formats, sur lesquels elle imprimait ses nus retouchés, parfois déformés. Elle expérimentait avec son corps une grammaire nouvelle que Simon Baker avait comparé à un alphabet 5.
À la galerie Semiose, le sujet de la représentation est repositionné : les gestes expressifs de peinture sont exacerbés afin de promouvoir le spectaculaire des émotions et amplifier les relations entre voir et lécher. L’artiste transforme les matières glossy et contenus instables de nos téléphones en œuvres que l’on pourrait croquer. Elle évoque les liens entre le réel et le fantasme, entre le désir pour l’objet ou l’image et l’appétit : une zone incertaine où l’intime se frotte aux pulsions gloutonnes de la possession et du mimétisme. Souvent, elle a parlé de sa relation aux magazines et à la publicité. Elle dit y avoir puisé une culture, un savoir graphique et esthétique. Comme toutes les adolescentes, elle a caressé du doigt et du regard des corps parfaits sur des surfaces brillantes, synonymes de désir, de biens, de pouvoir féminin. Toutes le font encore sur leurs téléphones mais les expressions de la désirabilité sont plus standardisées. Elles s’étendent à la construction de toutes les identités. Façonnées par une communauté de regards se réfléchissant sur les écrans, elles participent, comme le soulignait Sara Ahmed dès 2004, à la formation d’identités collectives et de nouveaux désirs sociaux 6.
Je regarde un portrait de l’artiste, photographiée au flash, de nuit. Seule, comme souvent, elle cache ses yeux derrière deux cuillères d’argent. Nos appétits ultra-façonnés sont rétro-visés par les cuillères, sorte de petits miroirs portatifs réfléchissant la lumière. L’image est éditée sur des couches vertes, roses et noires. Cette fois, la fille ne nous regarde pas.
Marie Canet
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1 Cf. Clothilde Morette, Bijoux sauvages, in My-Lan Hoang-Thuy : Femme Actuelle, MEP et éditions Bernard Chauveau, 2023.
2 Dans l’exposition _Time Well Spent _en 2025 à la Project Native Informant Gallery à Londres, les peintures étaient mises en regard de photographies prises à l’iPhone. Accrochées en frises sur la longueur des murs de la galerie, ces images fonctionnaient à la manière d’un journal visuel : ces photos, souvent prises dans l’atelier, figurent des ami·es, des détails, des objets du quotidien…
3 Conversation avec l’artiste, 1er septembre 2025.
4 Sianne Ngai, Ugly Feelings, Harvard University Press, Cambridge, 2005, chapitre intitulé « Animatedness », p. 89-125.
5 Simon Baker, « Bodies, Themes and Variations (in three parts…) », in Femme Actuelle, op. cit.
6 Dans l’introduction de The Cultural Politics of Emotion, Sara Ahmed soutient que « les émotions ne résident pas dans les sujets ou les objets, mais sont produites comme des effets de circulation ». Elle s’intéresse à la manière dont les émotions façonnent les « surfaces » des corps individuels et collectifs, en soulignant qu’elles sont produites par des circulations sociales et culturelles plutôt que par des états ou des objets isolés. Sara Ahmed, The Cultural Politics of Emotion, Routledge, Londres, 2004.
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Vernissage Samedi 18 octobre 11:00 → 20:00
Horaires
Du mardi au samedi de 11h à 19h
Et sur rendez-vous
Programme de ce lieu
L’artiste
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My Lan Hoang Thuy