Pattern recognition
Exposition
Pattern recognition
Passé : 28 janvier → 18 mars 2017
With Peter Halley, Herbert Hamak, Valérie Jouve, Marco Maggi, Dean Monogenis, Raha Raissnia, Lucas Samaras, Michael Scott, Takis, Dan Walsh
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“Homo sapiens is about pattern recognition” dit ironiquement Parkaboy, l’un des personnages du livre culte de William Gibson1. Pattern recognition : identifier les structures, construire une classification ou un support de classification, reconnaître des schémas qui articulent le quotidien et deviner les rythmes qui créent les interfaces urbaines des villes. Décomposer les façades des bâtiments, décomposer les rues, les avenues, les places, décomposer en particules élémentaires et abstraites qui se répètent, se multiplient, se déclinent et voir comment les formes architecturales se rapprochent du vocabulaire construit à partir d’éléments d’inspiration minimaliste. Les cubes, les rectangles, les grilles, les lignes simples, entrelacées, juxtaposées, autant de formes qui toutes réunies créent des architectures mathématiquement parfaites, géométriques et rythmées.
Des patterns conceptuels et iconographiques semblent envahir de manière obsessionnelle les toiles de Peter Halley pour construire un vocabulaire fixe et défini, concentré sur trois éléments picturaux, qui sont tout à la fois abstraits et enracinés dans le contexte social : le carré, représentant la “cellule”, la grille, renvoyant à l’idée de “prison” et le “conduit” faisant référence à l’idée de circulation à l’intérieur du système clos. Ce système géométrique de cellules et de grilles, à la fois isolées et reliées par des conduits, devient une métaphore de la société contemporaine et cherche à imiter l’organisation spatiale des comportements sociaux : il s’agit des schémas d’urbanisme, de la planification géométrique des villes et de leur circulation, des autoroutes interminables qui les enveloppent, des panneaux publicitaires qui les surplombent. Les éléments, rejoués, réinventés sans cesse dans le vocabulaire de Peter Halley, font écho aux formes géométriques et répétitives, déclinées en volumes, des œuvres de Herbert Hamak. Les “cellules” se transforment en cubes volumineux constitués d’un mélange de pigments à de la résine et de la cire, qui est ensuite moulé sur une toile conventionnelle enchâssée. Les “conduits” se traduisent en colonnes ou bien en ce qui pourrait être l’un des angles découpé d’un carré ou d’un rectangle, comme la forme de Malachit Synthetic. La peinture ainsi matérialisée dans l’espace acquiert une dimension sculpturale et devient une masse de lumière, selon la formule de l’artiste, tout en permettant une transition de la peinture vers les formes architecturales.
La toile de Dan Walsh intitulée Key est construite à partir d’un élément primaire : une grille, faussement géométrique, devient à travers sa répétition un motif structurant le fond de la toile. Sa multiplication compose une façade structurée et rythmée, comme dans un jeu de construction où les blocs de béton s’ajoutent les uns aux autres, les uns au dessus des autres. La rigueur de cette répétition est pourtant atténuée par l’utilisation de la couleur qui devient de moins en moins transparente et gagne en opacité, affirmant avec plus de force la présence de la grille en tant que forme prédominante. La répétition et la différence, pour reprendre la formule deleuzienne. La juxtaposition de grilles noires organise la surface de la toile de manière à ce que le fond de couleur bleu foncé se transforme lui aussi en une grille qui englobe et structure celles qu’elle contient. Les œuvres de Marco Maggi reprennent une logique semblable à celle de Key de Dan Walsh. Les Turner Boxes — inspirées des architectures de Le Corbusier, Van der Rohe, Gerhy… — sont posées sur une étagère qui reprend la forme d’une grille, comme si cette dernière cherchait à classifier les boîtes auxquelles elle sert à la fois de cadre et de support. Les boîtes, à leur tour, contiennent des piles de 100 pages minutieusement découpées. Les découpages sont faits de telle manière que ce qui se présente au regard ce ne sont plus des pages blanches opaques, mais des grilles, qui suivant la logique déjà établie deviennent elles-mêmes des étagères — la grille dans une grille — et contiennent, elles aussi, quelque chose en leur sein. Leur contenu — des figures géométriques découpées et complexes — paraît suspendu dans les cellules dessinées, configurées, délimitées par la grille.
Pourtant, pour les remarquer, pour pénétrer dans ce monde myope de figures infiniment petites, comme celles de microchip, il faut s’approcher et regarder les détails, un par un, tout en gardant l’idée de l’ensemble. Est-ce la vue aérienne d’une ville géométriquement parfaite et impossible ? La grille réapparaît sur le paysage urbain, étrange et fantasmé, de Age of Sail de Dean Monogenis. Elle est pourtant beaucoup moins présente et devient même fragile. Il n’y a plus ni répétition, ni stabilité. Ici, la grille jaune est brisée, diffractée, en partie effacée, devenant ainsi presque instable, comme si elle était saisie au moment de son “auto-déconstruction”, au moment où sa forme commence à tomber dans l’oubli. S’affirmant avec une grande hésitation, elle se superpose parfois à une architecture fragmentée et étrange, composée par la juxtaposition incongrue de ruines antiques et d’une façade moderne laissée à l’abandon ; ailleurs, effacée, elle met en avant les constructions utopiques qu’elle cherchait à cacher.
Raha Raissnia, quant à elle, produit des compositions labyrinthiques à partir de formes à la fois répétitives et altérées, qui oscillent entre abstraction et figuration. L’armature fragile des lignes structure la toile, créant ainsi des espaces abstraits, à la fois transparents et impénétrables. Cependant, des éléments figuratifs, comme des suggestions quasi-éphémères, comme des indices presque insaisissables, s’ajoutent à ces structures mathématiquement construites : ici ou là, il est possible de deviner les contours d’une fenêtre ou d’une façade d’immeuble ou encore d’un chantier. Grâce à leur composition, les toiles de Raissnia se rapprochent de la structure de la fugue, où le motif se décline à travers les variations, les répétitions, les superpositions. House of Abstinence de Michael Scott présente également un paysage à la fois figuratif et abstrait : une maison qui paraît suspendue dans un espace géométrique. Cette maison ainsi que l’espace qui l’entoure sont méthodiquement déconstruits en éléments constitutifs, comme s’ils avaient été générés par un principe informatique, juxtaposant des bandes noires et blanches comme les 0 et les 1 dans le système binaire. La répétition insistante des lignes fines verticales est équilibrée par les bandes diagonales plus épaisses, ce qui crée un effet optique très intense, empêchant le regard de se fixer sur une forme. La surface est tellement saturée, tellement informée que l’acte perceptif devient presque impossible. A la fois architecturale et purement abstraite, saisissable et insaisissable, l’œuvre, pour reprendre la formule de Bob Nickas2, se trouve dans le fossé entre “sites and non-sites, sights and non-sights”.
Dans sa série Les façades, Valérie Jouve photographie des bâtiments modernes, structurés, se distinguant par un motif répétitif qui les rythme. Par exemple, les fenêtres uniformes, reproduites à l’infini sur les façades des bâtiments, deviennent un pattern abstrait qui se traduit en élément architectural, tout en interrogeant la manière dont le profil de la ville se construit. Ces façades, à mi-chemin vers l’abstraction, font écho aux formes épurées et minimales des cubes imparfaits de Lucas Samaras. Sont-ils des blocs de construction redressés ou bien des allusions — en miniature — aux gratte-ciel ?
…Parmi ces paysages à la fois abstraits et architecturaux, le Signal de Takis apparaît. Disproportionné, élégant, fragile, il oscille, recherchant l’équilibre, mais il n’a de cesse d’envoyer des pulsations de lumière, comme pour réguler la circulation à l’intérieur de ces villes étranges, géométriques, construites à partir de patterns abstraits qui se répètent, se déclinent et se répètent de nouveau.
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1 William Gibson, Pattern recognition, Ed. Berkley Publishing Group, 2004.
2 Robert Nickas, “22 September 1990” dans le catalogue Michael Scott: New Paintings, September 22-October 20, 1990, Ed. Tony Shafrazi Gallery, 1990.
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Vernissage Samedi 28 janvier 2017 15:00 → 21:00
Horaires
Du mardi au vendredi de 11h à 13h et de 14h à 19h
Les samedis de 10h à 19h
Les artistes
- Valérie Jouve
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Dan Walsh
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Michael Scott
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Lucas Samaras
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Raha Raissnia
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Peter Halley
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Dean Monogenis
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Takis
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Marco Maggi
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Herbert Hamak