Peter Neuchs, Turi Heisselberg Pedersen — Dans la forêt
Exposition
Peter Neuchs, Turi Heisselberg Pedersen
Dans la forêt
Passé : 26 janvier → 9 mars 2013
C’est une fascination réciproque pour l’œuvre de l’autre qui est à l’origine de l’exposition « Dans la forêt » qui réunit le plasticien Peter Neuchs (Brésil) et la sculptrice Turi Heisselberg (Danemark). Un regard sur les deux univers identifie des points communs : une profondeur quasi impénétrable, un rapport puissant au primitif et une palette délicate mais intense. Chez les deux artistes, l’approche du thème choisi privilégie une perception dominée par les sens et l’imaginaire qui déforme pour mieux traduire les sensations, réelles ou fantasmées qu’inspirent l’idée de la forêt.
Turi Heisselberg Pedersen s’est attachée à étudier de très près le végétal — bulbes, tubercules et souches —, rappelant ainsi la beauté et l’immensité de la nature dans chacune de ses plus infimes créations. Son œuvre révèle par là même la richesse d’expression de la matière céramique et évoque la relation ancestrale et sensuelle de l’homme à la terre, à la matière. Peter Neuchs lui, a choisi de dépeindre de larges paysages imprégnés d’un étrange suspens, des nocturnes inquiétantes et sauvages, dont l’atmosphère évoque celle d’un film noir. Entre art baroque et cinématographie, c’est aussi le rapport complexe entre la civilisation et la nature qu’explore Peter Neuchs.1
Peter Neuchs œuvres sur papier.
Dans la forêt de Peter Neuchs se dressent des paysages nocturnes, grandioses et inquiétants. Une nuit baroque, flamboyante, où les éléments — ciel, terre et eau — fusionnent et se diluent dans l’aquarelle ; une forêt ténébreuse, dont les arbres se détachent de la matière impénétrable de la gouache, dans un clair-obscur vibrant. La surface picturale, remplie all over, est gorgée jusqu’à l’excès de détails, de sensations, de sentiments.
Dans la forêt
Les éléments de composition empruntés au Baroque — densité de la construction, effets de raccourci, formes, couleurs et lumières — confèrent aux œuvres de Peter Neuchs une immédiateté, une qualité spectaculaire. Ses paysages relèvent de l’esthétique du Sublime, de ce « plaisant sentiment d’horreur »2 qui envahit le spectateur devant ce qui transcende le beau. Cette notion de sublime reste liée au mouvement romantique, à l’émerveillement face aux splendeurs et à la puissance de la nature au XIXe siècle. Analogiquement, c’est une foule de sentiments que l’on éprouve devant une œuvre de Peter Neuchs. Outre l’émotion ressentie devant la virtuosité technique de l’artiste et la beauté des paysages représentés, il demeure des pensées, des sensations primitives, devant ces arbres rouges si hauts et si puissants, encerclant un refuge solitaire, devant ces buissons ardents, cette eau gelée, ces ombres mystérieuses dans la nuit…
Peter Neuchs flirte ici avec le « néo-romantisme » de celui qui rêve depuis son atelier une nature excessive et belle. Mais justement, une fois plongé dans ces nocturnes inquiétantes, leur artificialité se révèle peu à peu. Des lumières étranges, presque trop fortes ou trop blanches — des projecteurs ? Des couleurs saturées, trop de couleurs pour une nuit dans la forêt. Le titre d’une des œuvres révèle la supercherie, le pourquoi de cette densité visuelle : « La nuit américaine », titre d’un film de François Truffaut sur le cinéma et son artificialité, mais également référence à un procédé cinématographique, un filtre qui permet de tourner des scènes nocturnes en plein jour.
Ces paysages sont donc des projections, des fantasmes, des produits de l’imaginaire de leur auteur, tout comme elles sont un hommage au cinéma, qui influence grandement le travail de Peter Neuchs, en termes de plans, de couleurs, de lumière, d’ambiances et de références. Construits, artificiels, ces paysages démesurés — mieux que nature —, à la fois baroques et cinématographiques, deviennent alors un réceptacle pour les représentations, les visions et les songes du spectateur.
2 Joseph Addison, Remarks on Several Parts of Italy, 1718
Turi Heisselberg Pedersen : sculpture
Soudain on peut douter : douter de ce qu’on voit, douter de ce qu’on avait cru voir ; la perception est défiée, les sensations et les impressions s’intensifient, les proportions se modifient — et on panique. Ou inversement — le connu offre de visions nouvelles pour « s’ouvrir » ; l’objet du regard n’est plus seulement un objet ou un phénomène nommé, mais plusieurs existences à la fois. Une métamorphose s’est opérée, on voit le monde sous un nouveau jour. Le contact avec la nature peut avoir ces effets. Soit elle nous angoisse du fait de son immensité et sa puissance par rapport à notre substance fragile ; ou bien nous sommes émerveillés, transportés, transformés devant cette magnificence et la richesse de ce qui nous échappe et nous dépasse.
Introduction
En se lançant
Dans la forêt avec le peintre plasticien Peter Neuchs, Turi Heisselberg Pedersen a entamé une interrogation sur l’ambiguïté de notre relation à la nature. Une première série d’œuvres, My Garden (2011-2012), découlait d’une étude de son propre jardin, de l’observation de la croissance des végétaux et de son rapport à la terre — rapport d’autant plus puissant que l’artiste a été formée en tant que céramiste. Dans cette série le lien avec le contenant, le vase, sa forme de référence depuis toujours, était encore partiellement visible : il s’agissait, pour une partie, de « vases » sur lesquels des brindilles et des feuilles venaient se greffer. Dans d’autres œuvres elle avait totalement abandonné le contenant et sa ligne symétrique et rigoureuse pour développer des sculptures inspirées de bulbes, tiges et légumes ; des pièces aux formes exagérées où disproportionnées. Ceci pour exprimer une vision et une expérience sensorielle, affective plutôt qu’un désir de représentation. Alors que les œuvres antérieures de l’artiste étaient caractérisées par une surface mate et régulière, un engobe, sorte de peau qui faisait corps avec la terre, avec My Garden Turi Heisselberg Pedersen a commencé à employer des coulures de glaçures soulignant les courbes des œuvres sur lesquelles elles évoluent. Elle indiquait ainsi une volonté de laisser la nature et ses lois — en l’occurrence celle de la pesanteur — s’introduire et prendre part à la « direction artistique ».
Dans la forêt
Avec le nouveau volet de son travail sur notre relation à la nature — Dans la forêt — Turi Heisselberg Pedersen est allée encore plus loin : la forme du vase a totalement disparu. Des sculptures sont nées, où la tension entre imaginaire et réalité est encore plus prononcée. Ses Troncs évoquent aussi bien des arbres que des corps, corps sensuels — spécimens de cette forêt enchantée où l’imagination voit également autre chose. Des Tubercules élancées ont abandonnés leur cachette sous terre et leurs dimensions modestes pour se dresser fièrement, offrant à la vue les structures presque feuilletées qui constituent leur surface. Un ensemble de Bulbes, sont attendrissants dans leur lourdeur ronde ou intriguant du fait de leurs formes contenues et de leur surface ciselée. Des lignes sont incisées dans la surface mate. Elles soulignent les volumes bombés et font songer aux arts premiers (peintures aborigènes et tatouages tribaux). Les couleurs sont terreuses mais lumineuses, alors que l’engobe apporté sur le corps de grès dégourdi1 est matte. Cette luminosité s’explique soit par le procédé de vaporisation de l’engobe, qui laisse des aspérités comme autant de capteurs de lumière à la surface, soit par la juxtaposition des tons contrastant.
La confrontation avec un sujet à la fois classique et éternel permet à Turi Heisselberg Pedersen de révéler toute la richesse de la matière céramique et son imaginaire personnel ; elle y apporte cette sensualité aigüe qui caractérise son univers. Sans exotisme emprunté, ses œuvres exaltent les sens, les sensations primitives du rapport de l’homme à la terre. Dans leur appréciation le corps entier du spectateur est mobilisé et pas uniquement le toucher.
1 Technique : la matière première des sculptures de Turi Heisselberg Pedersen est un grès hongrois modelé à l’aide d’une technique japonaise de colombins épais (3-4 cm), aplatis ou étirés avant l’assemblage. En cours de construction l’artiste vérifie sans cesse la régularité de la forme naissante. Une fois terminé la pièce est cuite une première fois à 1260 dégrées — le dégourdi — dans un four électrique avant l’application d’un engobe et une deuxième cuisson. L’engobe est apporté par vaporisation pour permettre une application parfaitement régulière car ce type d’engobe ne fonds pas dans le four et aucun lissage n’est en conséquence obtenu lors de sa cuisson. La glaçure est apportée par la suite et nécessite une cuisson supplémentaire.
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Vernissage Samedi 26 janvier 2013 20:00 → 17:00
Horaires
Du mardi au samedi de midi à 19h
Et sur rendez-vous
Printemps 2020 : la galerie est ouverte sur rendez-vous
Les artistes
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Peter Neuchs
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Turi Heisselberg Pedersen