Pratchaya Phinthong
Exposition
Pratchaya Phinthong
Passé : 8 septembre → 3 novembre 2012
Le monde de Pratchaya Phinthong est un jeu d’équivalences et de flux, un ensemble organisé de tensions entre deux positions. L’art devient ainsi la prolongation de ce système complexe et la galerie se transforme en partenaire actif d’une entreprise dont les enjeux se situent au-delà des frontières artistiques habituelles. Dans la continuité d’une histoire de l’art conceptuel, le travail s’est construit dans cet interstice ténu entre une réalité et sa représentation, une expérience et sa forme. Pratchaya Phinthong traduit des éléments du monde réel (une rumeur, une découverte scientifique, un voyage) en une forme ou un geste. En réalisant ses projets, le déplacement d’un champ à l’autre, peut parfois aussi modifier la réalité. Par effet de miroir, l’artiste questionne aussi le statut de l’auteur et se libère parfois du fétichisme de l’œuvre d’art en déléguant jusqu’au choix de la forme de celle-ci. Artiste entrepreneur face au fléau de la maladie du sommeil en Afrique, ouvrier agricole en Laponie ou chasseur de lune, Pratchaya Phinthong raconte d’abord des histoires. Ses micro situations se déploient souvent sous la forme de voyages, reliant un point à un autre ou parcourant les deux faces d’une même chose. Ses projets sont souvent prétextes à créer un nouvel échange humain et agrandir un réseau social dense. Les différents récits de cette exposition se répondent à travers des allers-retours temporels et questionnent les différentes formes de perception d’une réalité, soulignant le rôle de celui qui donne à voir.
L’histoire de One of them (02), 2012 commence en Chine en 132 après Jésus-Christ lorsque Zhang Heng présente à la cour des Han son invention mystérieuse, le premier sismomètre. Reconnu par les textes comme étant d’une remarquable précision, le dispositif de Zhang (dont la technique exacte a été aujourd’hui perdue) consistait en une cuve sur laquelle étaient fixés huit tubes en forme de dragons correspondant aux huit directions d’une rose des vents. Chaque dragon avait une boule en métal dans la gueule. Un séisme qui se déclenchait à distance entraînait alors la chute d’une des huit boules dans la bouche d’un récipient en forme de crapaud, donnant ainsi la direction d’origine de la catastrophe. Pratchaya Phinthong reformule ici une de ces boules, mais au lieu d’employer du bronze il utilise une des « terres rares » (Rare Earth Elements), aujourd’hui utilisées pour fabriquer des objets high-tech (écrans plats, batteries…). L’Etat chinois détient à ce jour plus de 90% du marché mondial et joue de ce pouvoir sur un plan politique. Par ce geste reliant un objet scientifique du passé à une technologie moderne, l’artiste donne à cette œuvre une réalité économique actuelle. La sculpture est accompagnée d’une photographie prise par le satellite géologique ASTER, programme dirigé par les Japonais et les Américains. L’image représente le cadrage d’un site, la plus grande mine de terres rares en Mongolie chinoise. Pratchaya Phinthong joue à nouveau de cette idée de correspondances, faisant glisser la sphère géopolitique vers celle plus sensible, d’une installation.
Cette dernière image contrôlée par les Etats Unis et le Japon fait écho à l’image d’une planète dessinée par un illustrateur employé par la NASA et ici reproduite par l’artiste Pattara Chanruechachai. L’installation intitulée Algahest, 2012 est la représentation de la planète Kepler 22B visible à travers une fenêtre amovible. Lorsque l’on retourne l’encadrement de la fenêtre, un paysage constitué de sable, d’air et d’eau (éléments nécessaires pour que toute forme de vie existe) se construit lentement. On sait peu de choses de K-22B, si ce n’est que la présence possible d’eau liquide sur sa surface pourrait signifier une forme de vie. La NASA, en faisant récemment publier ce dessin d’artiste de la planète (finalement très proche de l’image de notre Terre), a choisi de communiquer ses progrès scientifiques à travers l’imaginaire subjectif d’un homme. Pour Pratchaya Phinthong, cette vision d’un monde futur renvoie à notre passé, avant toute civilisation. Algahest représente la manière dont la mémoire se construit à travers les différents filtres culturels, collectifs ou personnels. Le titre de l’installation fait allusion à un dissolvant universel capable de ramener tout corps à sa matière première. Ce processus consistant à passer d’une forme à l’autre est proche de la pensée de l’artiste. Chaque œuvre dans l’exposition étire le temps, passé ou futur, afin de pouvoir se positionner dans le présent.
Il s’agit aussi de questionner un présent délicat lorsque Pratchaya Phinthong s’attache à partir enquêter en Zambie sur une rumeur : un guide du musée de Luzaka raconterait aux visiteurs que l’objet le plus prestigieux exposé dans leur musée n’est qu’une copie, l’original étant au Musée d’Histoire Naturelle de Londres. L’artiste prend ce point de départ pour développer son projet. Il demande à une metteur en scène de Lusaka de raconter cette histoire du crâne de Broken Hill, ancêtre de l’Homo Sapiens, découvert en 1921 dans une mine en Rhodésie puis envoyé à Londres. La Zambie ayant été dépossédée de ce trésor de l’humanité, l’artiste préfère rester à l’extérieur de cette mémoire et déléguer son récit à Musola Catherine Kasekati. L’installation vidéo Don’t kubeba (don’t tell them), 2012 est constituée de deux films : celui réalisé par la metteur en scène, et celui de l’artiste. Dans le premier, Pratchaya Phinthong n’est qu’un simple figurant ; dans le second, il filme le tournage. En s’appropriant l’idée de l’artiste, la metteur en scène se réapproprie sa propre histoire. Comme dans Algahest ou One of them (02) l’artiste orchestre ici un double regard sur une même chose, mettant sur le même plan ce qui est visible et ce qui est caché.
Untitled (no work), 2012 est une pile de papiers posée au sol, constituée de formulaires volés par l’artiste à l’ambassade de France à Bangkok. Il s’agit d’une déclaration sur l’honneur à remplir par tout ressortissant thaïlandais entrant en France. Chacun doit certifier n’exercer aucune activité professionnelle pendant la durée de son séjour en France. Si les autres pièces mettent en perspective une histoire linéaire, soudainement le temps présent devient plus immédiat et autobiographique. Le déplacement du questionnaire dans une galerie parisienne nous rappelle une actualité sociale de crise et révèle l’état fragile du statut de l’artiste face à une situation de crainte.
Ponctuation quasi invisible de l’exposition, A piece that nobody needs, 2012, en donne symboliquement le sens de la mesure. Feuille blanche disposée au mur, elle est un marqueur, un moule dans lequel le temps de l’exposition pourra venir inscrire sa marque : impeccable le jour du vernissage, le papier (spécifiquement choisi par l’artiste pour sa fragilité) sera fatalement destiné à se transformer avec le temps.
Cette exposition a bénéficié du soutien de la Mairie de Paris — Département de l’Art dans la Ville.
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Vernissage Samedi 8 septembre 2012 16:00 → 21:00