Pratchaya Phinthong — Give more than you take
Exposition
Pratchaya Phinthong
Give more than you take
Passé : 5 décembre 2010 → 19 février 2011
Pratchaya Phinthong est un alchimiste des valeurs économiques et des fonctions sociales. Dans le travail de cet artiste thaïlandais, né en 1974, les fluctuations financières, l’alarmisme des médias et le marché mondial du travail deviennent matière — le solide se transforme en liquide puis en état gazeux, et vice versa. Il vaudrait peut-être mieux en effet décrire Pratchaya Phinthong comme un trader [spéculateur] qui opère au contraire d’une logique de profit et traite de la culture et des systèmes de valeurs, trafiquant les concepts quotidiens, les espoirs et les troubles. Phinthong intègre la transformation perpétuelle des formes et de la politique, de l’existence et de la vie quotidienne, et applique poétiquement la métaphore de la fluctuation des devises dans différents domaines de l’activité humaine. Partir du principe que la valeur économique est la force la plus abstraite de l’humanité — et, en même temps, la plus concrète et tristement influente — simplifie la compréhension de la dialectique de matérialisation et de dématérialisation sur laquelle Phinthong fonde sa pratique artistique.
Lors de sa deuxième exposition personnelle dans la galerie parisienne gb agency en 2009, l’artiste a montré deux œuvres qui émergeaient de cette dialectique, basées sur la relation réciproque entre disparition et accumulation. La première, intitulée 2017 (2009), se présentait comme une peinture murale. Phinthong avait téléchargé un texte trouvé sur un site internet consacré aux théories du complot qu’il a ensuite transféré sur les murs de la galerie avec une encre destinée à disparaitre au fil du temps. Les mots du texte oscillaient entre réflexions paranoïaques, prédictions d’un avenir catastrophique et délires religieux, signalant de manière confuse la fin imminente et inévitable du monde due à une collision entre la planète Terre et un être divin. Tout comme dans les parodies dans les médias, une fois que la place est prise par une actualité plus envoutante, idiote ou tragique, le texte est destiné à disparaitre graduellement au fur et à mesure que le mur absorbe l’encre.
Inversement, la deuxième œuvre présentée se constituait de piles de billets (What I learned I no longer know; the little I still know, I guessed / Ce que j’ai appris je ne sais plus; le peu que je sais encore, je l’ai deviné, 2009) qui augmentaient au cours des semaines. Sculpture au sol d’un mètre carré posé directement parterre, ce petit tas de billets est un empilement de liasses de dollars zimbabwéens, monnaie qui au fil des années a connu une telle hyperinflation qu’elle a été écartée du marché international des devises. En échangeant la somme de €5000 pour son équivalent en dollars du Zimbabwe afin de créer une forme minimale avec du papier quasiment sans valeur, Phinthong érige un anti-monument à la croissance financière, comme un trou noir dans lequel toute la violence symbolique et l’arbitraire des valeurs pourraient s’effondrer.
Le capitalisme a été l’idéologie de la transformation constante et exponentielle de la nature et des matériaux causée par l’humanité. L’idéologie néolibérale dominante d’aujourd’hui semble avoir porté cet acte illimité de transformation dans une sphère d’abstraction et d’immatérialité extrêmes, un territoire extra-national avec ses propres lois (tel la meilleure tradition de l’art abstrait) où le capital se révèle effectivement comme force hypertrophiée et impondérable.
Le temps, gradient de cette forme d’alchimie où politique, imagination, paradoxe et réalité se confondent, apparaît au cœur du projet le plus ambitieux réalisé à ce jour par l’artiste : Give more than you take [Donne plus que tu prends] (en cours). Ce projet sera au centre de l’exposition personnelle organisée en collaboration avec le CAC Brétigny, où elle s’ouvre en décembre 2010, et le GAMeC à Bergame, où elle aura lieu en juin 2011. Le travail de Phinthong est généralement basé sur son expérience personnelle de la réalité, sous la forme de voyages, de processus et d’échanges réduits au minimum dans un espace d’imagination poétique. Dans ce projet, sa représentation de cette expérience devient plus complexe, englobant une extension dans le temps qui inclut le processus précédant l’exposition qui se déroule dans les sphères de l’économie mondiale et de la vie quotidienne. Par les médias locaux et internationaux, l’artiste a découvert qu’un grand nombre de paysans thaïlandais vont en Suède l’été pour la cueillette des baies sauvages. Ils sont confrontés à des conditions de travail effroyables et une rémunération si basse que beaucoup d’entre eux ne gagnent pas suffisamment pour rembourser leur billet d’avion. Phintong décida de passer un mois et demi vivant et travaillant aux côtés de ces travailleurs dans la partie suédoise de la Laponie. Ce qui paraît au prime abord comme les fondements d’un exposé journalistique ordinaire sert plutôt comme point de départ d’un projet qui montre l’échange d’argent et de main-d’œuvre, le marché d’histoires individuelles et d’espoirs collectifs, dans le cadre d’un processus de transformation, de sublimation et de formalisation. À la fin de chaque journée de travail, Phinthong calculait le poids des baies sauvages qu’il avait réussi à cueillir. À son tour, il a demandé au directeur du CAC Brétigny, Pierre Bal-Blanc, de recueillir un poids équivalent d’objets inutiles, destinés à être oubliés ou jetés, et de les empiler dans les salles d’exposition.
Au bout du compte, un total de presque six cents kilos d’affaires délaissées ont été accumulés. Dans les deux lieux du projet, une dialectique s’est installée entre le caractère fonctionnel du labeur individuel qui s’engouffre dans le tourbillon du profit, et l’aliénation de l’utilisation sous la forme d’un cimetière d’objets qui ont perdu leur fonction. La confrontation de la dissolution de l’identité des travailleurs dans le labeur d’une part, et d’un tas d’affaires sauvées de la dissolution d’autre part, tente de compenser symboliquement la perte inhérente au premier état.
Une autre forme de disparition est également en jeu ici : celle de l’artiste en tant que compositeur de formes. Phinthong a demandé aux commissaires des deux expositions de décider eux-mêmes de la façon de disposer les objets recueillis pendant plusieurs jours, de les placer dans l’espace comme ils le souhaitent, sans le consulter. Bien que cela puisse sembler être un acte de négation et de dépréciation, en réalité Phinthong nous confronte à une autre transposition : non seulement celle des matériaux et des fonctions symboliques comme nous venons de voir, mais aussi de la responsabilité qui passe de l’artiste au commissaire, ce qui retire de ces objets leur valeur de souvenirs, de témoignages, ou de fétiches dans le but de les libérer dans l’espace pour l’expérience du spectateur.
Cet acte de transfert du rôle et de la responsabilité de l’artiste est assorti dans les expositions par un autre acte de déplacement spatial et d’appropriation directe par l’artiste. Une nuit, Pratchaya Phinthong a démantelé une tour de contrôle utilisée pour superviser le travail des cueilleurs et il l’a envoyé à Brétigny où, une fois de plus, la responsabilité incombait à Bal-Blanc de déterminer sa place dans l’exposition. La tour de contrôle, érigée à Brétigny, ressemble à un décor de théâtre à l’intérieur duquel les multitudes de travailleurs anonymes se déplacent comme les figurants d’une épopée sur l’invisibilité, le contrôle et la possession. Une épopée, enregistrée sous forme minimale et immatérielle à travers les images qui apparaissent dans un compte rendu qui constitue le troisième et dernier travail dans l’exposition, un site internet qui n’existera que dans l’intervalle entre les deux étapes de l’installation à Brétigny et GAMeC, et disparaîtra par la suite. Tout comme avec l’encre du texte de 2017, qui disparaît car il s’infiltre dans l’architecture, l’espace virtuel de ce site sera inscrit dans la mémoire de l’internet comme une trace, même lorsqu’il ne sera plus disponible pour consultation. Il restera là, comme un fantôme dans les moteurs de recherches, dans la mémoire continuellement réécrite du monde.
Espace Jules Verne
rue Henri Douard
91220 Brétigny s/Orge
T. 33 (0)1 60 85 20 78
Horaires
Du mardi au samedi de 14h à 18h
Nocturnes les soirs de représentation au Théâtre Brétigny, scène conventionnée.
Tarifs
Accès libre
L’artiste
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Pratchaya Phinthong