Présence Panchounette

Exposition

Installations, peinture, sculpture

Présence Panchounette

Passé : 20 novembre 2021 → 1 janvier 2022

Préface à la créolisation de l’art contemporain

Présence Panchounette reste sans doute à ce jour le collectif d’artistes français le plus insaisissable et le plus fulgurant de la deuxième moitié du XXe siècle, alors même que leur existence officielle s’étend confortablement de 1968 — année de toutes les subversions — à 1990 — année de libération de Nelson Mandela en Afrique du Sud. Vingt-deux années d’association de malfaiteurs et d’attaque en règle contre l’académisme des avant-gardes, contre l’élitisme bourgeois de l’art contemporain mais aussi contre eux-mêmes — n’hésitant pas d’aller jusqu’à l’auto-sabotage lorsque cela est nécessaire pour éviter la récupération, les ambiguïtés politiques.

De leur histoire réelle, on sait peu de choses, mais l’odeur de souffre laissée par leurs interventions à la limite du terrorisme intellectuel est encore palpable. On connaît souvent quelqu’un qui connaît Présence Panchounette dans le « milieu de l’art ». Devenir à la mode ou être « admis » n’a jamais été pour eux un risque mais plutôt le feu avec lequel on joue à se brûler ; une friction du sens et des signes (que cela passe par le dédoublement, le camouflage, l’hybridation…) qu’ils se sont toujours plu à entretenir, y compris jusqu’à l’épuisement : « la cacophonie des signes que nous avions, assez naïvement, vu comme prélude à l’avènement de la société sans classes, n’a été le prélude de rien du tout, sinon de l’éclectisme postmoderne » — et de crier à qui veut l’entendre que seul l’échec vaut réussite.

Avec leur goût immodéré pour le « décor » ou plus exactement le syndrome décoratif inavoué de l’art contemporain, on doit aux membres de Présence Panchounette d’avoir démasqué ce dernier chez Buren, avant que l’intéressé n’en vienne à se proclamer comme tel, quelque quarante ans après.

Au-delà de sa légende, Présence Panchounette laisse aujourd’hui transparaitre une « œuvre » en bonne et due forme. Cette dernière peut désormais s’appréhender de près et avec le recul nécessaire pour en désamorcer toutes les bombes poétiques et politiques — notamment avec la collaboration de la galerie Semiose pour la conservation, la documentation et la diffusion de leur catalogue déraisonné. Ne pas y chercher d’œuvres majeures ou mineures, chez ceux qui ont bien avant les musées et l’institution, invité les arts mineurs à la table des avant-gardes ; dénoncé les logiques de domination raciale, économique ou territoriale en jeu dans notre consommation culturelle. Une œuvre pour laquelle les mots éclectique ou parodique manqueraient l’essentiel, tant Présence Panchounette fait montre d’un regard hérétique et sans complaisance avec les règles de l’art.

Parmi les nombreux fils à tirer et chemins à refaire, la « Section africaine » du panthéon Panchounette ne pouvait tomber plus à pic dans l’agenda de l’art contemporain. Les œuvres présentées par Semiose pour l’exposition de l’automne 2021 relèvent d’expériences, voyages, affinités et collaborations menées par différents membres du groupe sur le continent africain. En effet, dès 1974 est créée la section gabonaise Présence Panchounette et dans les années qui suivent toute l’Afrique de l’Ouest et subsaharienne du Sénégal au Gabon est visitée par le groupe dans un esprit de migration créatrice. Le renversement du point de vue colonial-occidental au profit de collaborations et de rencontres avec des artistes, artisans et créateurs (sans distinction hiérarchique) se révèle encore mieux aujourd’hui ; avec notre compréhension du monde globalisé et l’apport des études postcoloniales.

Qu’il s’agisse d’une peinture d’un atelier de Conakry sciemment modifiée (la série Portrait devise), d’une statuette-collage faite de juxtaposition radicale et assemblage improbable, intégrant des éléments réalisés par différents artistes ainsi mis en avant par le collectif bordelais, on retrouve toujours cette friction ou ce minage du sens et de l’origine, ce ravissement de gestes attrape-tout.

Pour leur époque, jusqu’au milieu des années 1980, ces pièces déchargeaient une énergie rare et intempestive, intacte aujourd’hui, mais prophétique pour leur époque. Un choc hilarant ou confondant pour le public d’une exposition désormais « anti-canonique » de l’histoire du groupe : Banlieues Sud, Expressions d’Afrique au CRAC Labège, en 1986. Une exposition qui préfigure à certains égards Magiciens de la terre (Centre Pompidou, 1989), en se payant le luxe de présenter des collaborations avec des artistes tels que Kane Kwei (que l’on retrouve ici dans la pièce La Villa des ancêtres), Agbali Kossi (pour Magicienne de l’eau), Nicolas Damas (pour Disco Boy, Le Couple, Traffic, La Disquette de Youpougon), Akpan (pour Le Couloir des trophées), Amidou Dossou (pour Batékés, Cogito ergo sum, Cool Mamadou Coal)… D’ailleurs, tous, hormis Nicolas Damas, ont été invités à participer à Magiciens de la terre.

Le titre de l’installation Magicienne de l’eau (1987), présentée dans l’exposition chez Semiose, résonne d’autant plus ironiquement ; qui plus est pour une pièce principalement composée de bacs en plastiques. Symbole et composante du paysage urbain africain, solennellement antithétique avec le contexte officiel de l’art, ces bacs représentent la version anarco-agitatrice des structures minimalistes de Donald Judd, elles-mêmes encore érigées à ce jour dans les musées, avec leur part de décorum inconscient. Gageons par le vibrant écho donné à ces interférences interprétatives dans l’exposition qu’elle entrera dans la préhistoire (ou dans la « préface ») de l’art contemporain à l’heure de sa mondialisation, voire de sa créolisation.

Morad Montazami

Morad Montazami est historien de l’art, éditeur et commissaire d’expositions. Après plusieurs années à la Tate Modern de Londres en qualité de « Middle East and North African arts curator » (2014-2019), il dirige désormais la plateforme Zamân Books & Curating qui se consacre à l’étude des modernités arabes, africaines et asiatiques. On lui doit notamment les expositions Bagdad Mon Amour, Institut des cultures d’Islam, Paris, 2018 ; New Waves: Mohamed Melehi and the Casablanca Art School Archives, The Mosaic Rooms, London/MACCAL, Marrakech/Alserkal Arts Foundation, Dubai, 2019-2020. Il fait partie du collectif Globalisation, Art et Prospective, rattaché à l’INHA (Paris) et publie régulièrement dans des catalogues, ouvrages collectifs et périodiques.

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