Présence Panchounette surréaliste ? Mon œil !

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Présence Panchounette surréaliste ? Mon œil !

Encore 20 jours : 31 août → 5 octobre 2024

« C’est avant tout la poursuite de l’expérience qui importe :
la raison suivra toujours son bandeau phosphorescent sur les yeux. »
André Breton, Crise de l’objet (1936)

« Tout est comme avant ! »

Vraiment ? Pour le passant de novembre 1968, il est légitime de s’interroger devant ce graffiti provocateur — qui serait la première manifestation de Présence Panchounette –, comme pour nous aujourd’hui devant ces objets critiques mis en circulation par le collectif bordelais officiellement actif entre 1969 et 1990.

Si tout est comme avant, alors la vie n’a toujours pas été changée par l’art et, notamment, par le travail de sape des avant-gardes dites historiques : dada (fondé à Zurich en 1917) puis le surréalisme (fondé à Paris en 1924) n’auraient donc en rien modifié notre rapport au monde ? Pourtant, les chocs en série inspirés par la fameuse table de dissection du comte de Lautréamont où un parapluie a fait fortuitement la rencontre d’une machine à coudre ont engendré ces collisions ultérieures, qu’on pourrait dire « chounettes », entre des mots et des choses pris en flagrant-délit de complicité humoristique. Au bout du compte, entre Zurich, Paris et Bordeaux, on a peut-être au moins gagné une conscience toujours plus nette, toujours plus railleuse de l’amère victoire des avant-gardes ayant modelé à maintes reprises notre si bon goût… et rien de plus.

Dans le contexte des révoltes d’étudiants et d’ouvriers de mai-juin 1968 et des années 1970 ultra-politisées, Présence Panchounette s’est imprégnée et a recueilli à sa manière le message situationniste relatif aux avant-gardes. « Le dadaïsme a voulu supprimer l’art sans le réaliser » alors que « le surréalisme a voulu réaliser l’art sans le supprimer(1) » résume Guy Debord (1931-1994). Loin de négliger dada et le surréalisme, il convient plutôt de tirer les conséquences de leurs impasses historiques respectives. Pour le théoricien situationniste qui s’est rapproché davantage des positions surréalistes d’un Paul Nougé(2) et d’un Marcel Mariën(3), la solution qui s’impose est celle d’un « dépassement de l’art ».

Alors que le groupe surréaliste parisien s’auto-dissout en 1969 et que les situationnistes font de même en 1972, Présence Panchounette donne sa propre définition critique, insolente, déclassante d’une production post-artistique. Eux qui se caractérisent ironiquement comme une avant-garde développent un discours de la totalité (« pan » en grec signifie « tout ») et visent en même temps en-dessous de la ceinture, à hauteur de « choune », c’est-à-dire du sexe féminin, selon l’expression argotique en usage dans le Sud de la France. Mais ajoutons une précision de sémiologie amusante : « Étymologiquement une “chounette” c’est une petite choune, cela passe de l’insulte à la gentillesse(4). » (1990) Pour parvenir au grandiose dépassement de l’art, l’option choisie par dérision est donc celle de la gentille vulgarité, tandis que se développent au cours des très sérieuses années 1970, B.M.P.T.(5), Supports/Surfaces, Art & Language ou encore un art corporel volontiers sacrificiel.

Les artistes de cette période se montrant plutôt rétifs au legs surréaliste, il fallait oser reconduire après le Manifeste du surréalisme (1924) d’André Breton (1896-1966), puis après Potlatch (organe de l’Internationale lettriste, 1954-1957), la pratique de la liste désignant des figures tutélaires. Plutôt que « Swift est surréaliste dans la méchanceté » ou « Sade est surréaliste dans le sadisme(6) ».

Le manifeste de cette internationale bordelaise pour laquelle « Tout va bien » signale à l’attention de ses lecteurs éventuels que : « Charles Manson est panchounette dans la peur. Georges Bataille est panchounette en photo. Le Sâr Peladan est panchounette en couverture. Sophie Rostopchine est panchounette en illustrations. Jean Lorrain est panchounette en vocabulaire et en grammaire. Jules Verne est panchounette en sexualité(7). »

Puisque « Le plagiat est nécessaire(8) » rien n’interdit de dévaliser les coffres aux trésors de l’avant-garde née en 1924. Le numéro deux de La Révolution surréaliste (9) était d’ailleurs indéniablement chounette : on y voit la reproduction d’un épouvantail photographié dans un jardin avec cette légende : « Art français, début du XXe siècle ». Lorsqu’à l’occasion de dérives en banlieues bordelaises, Présence Panchounette attribue un statut artistique aux faux puits en pneus, aux moulins miniatures ou aux nains de jardins, ils poursuivent l’expérience des surréalistes des années 1920 : « Art français, fin des années 1970 ». Et, du reste, les Bordelais ne voisinaient-ils pas avec le sulfureux Pierre Molinier (1900-1976) qui fut un temps associé aux activités conduites par André Breton, Benjamin Péret (1899-1959) et leurs amis ? Mais Présence Panchounette ne croit plus vraiment en la vertu émancipatrice de l’érotisme, fut-il voilé comme l’exigeait Breton (L’Amour fou, 1937), ou sans voile et détourné, comme dans les montages situationnistes. Après cinquante ans de transfigurations esthétiques, dans quelle mesure l’opération symbolique de reconnaissance de l’objet d’art peut-elle atteindre à un degré d’incandescence tel qu’il suscite l’embarras ou l’inquiétude de celui qui regarde ? Sommes-nous devenus totalement blasés ? À certaines conditions, les ressources du mauvais goût demeurent vivifiantes, rétorque Présence Panchounette, parce qu’elles préservent le sens de la surprise : « Ce qui est intolérable dans le vulgaire, c’est son innocence (10) » estime le collectif.

Lorsqu’on extrait cette innocence de son milieu d’émergence pour l’installer dans le monde de l’art, la vulgarité n’est plus naïvement décorative. Elle ouvre même une voie possible à une critique inédite de l’ordre des choses ou à une nouvelle Crise de l’objet (Breton). Le papier-peint à motifs de briques ou de moellons rustiques constitue peut-être l’ultime avancée dans ce processus de démystification, alors que la société de consommation des années 1980 commence à promouvoir, pour tout un chacun, un art de vivre dans un monde intégralement repensé par la norme du bon goût nommé design.

On peut se rappeler que Max Ernst invente la technique du frottage en fixant le plancher usé d’une auberge bretonne. Quelques décennies plus tard, Présence Panchounette lève les yeux du sol, jette un regard sur le baromètre kitsch et se concentre sur le mur. Comment échapper au piège du décoratif ? Peut-être en s’y jetant éperdument. Où en sommes-nous désormais ? Comme avant ? Pas exactement : notre sens de l’humour s’est fortifié. Ce n’est pas rien en temps d’incertitude.

« Changer la vie » a dit Rimbaud. « Transformer le monde » a dit Marx. Le surréalisme s’est efforcé de ne jamais perdre de vue ces deux exigences. « Et tout a fini dans le décor » ajouterait Présence Panchounette.

Jérôme Duwa

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1. La Société du spectacle, VIII, §191, 1967.
2. Paul Nougé (1895-1967) est un poète belge, et l’un des instigateurs et théoriciens du surréalisme en Belgique.
3. Marcel Mariën (1920-1993) est un écrivain surréaliste belge, poète, essayiste, éditeur, photographe, cinéaste, créateur de collages et d’objets insolites. Il a été l’animateur de la revue Les Lèvres nues (1953-1975).
4. Présence Panchounette, CAPC, 2011, p. 79.
5. B.M.P.T. est le nom d’un groupe de quatre artistes : Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier et Niele Toroni, créé en décembre 1966 et dissous en décembre 1967.
6. André Breton, Manifeste du surréalisme, 1924.
7. Présence Panchounette, op.cit., p. 11.
8. Guy Debord, La Société du spectacle, VIII, §207, 1967.
9. Daté du 15 janvier 1925.
10. Présence Panchounette, op.cit., p. 83.

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