Sciences et Fictions
Exposition
Sciences et Fictions
Passé : 16 mai → 15 juin 2013
L’exposition Sciences et Fictions est une réflexion sur le partage des connaissances entre deux mondes réputés opposés, ceux des sciences modernes et des fictions narratives qui s’en inspirent, ainsi que sur le passage des constructions imaginaires de l’un à l’autre.
Onze artistes ont décliné ce thème pour huit œuvres montrées à la galerie de Roussan qui adoptent des formes très diverses : installation, vidéo, sculptures ou livres, illustrés ou non. Les propositions peuvent être une exploration futurologique de notre présent, la mise en perspective à partir de références littéraires des changements de nos sociétés et de nos aspirations, l’extrapolation à partir des outils qui constituent notre environnement technologique de dystopies littéraires ou le voyage dans un monde humain rendu neutre et prêt à être réinvesti selon nos désirs.
Dans Cyborgs dans la brume, à la fois document et fiction vidéo, Gwenola Wagon et Stéphane Degoutin vont à la découverte d’un territoire géographique et sociétal, scientifique et technologique, réel et imaginaire qui extrapole les fictions devenues notre réalité. Cette cartographie au scalpel d’une rue de Seine Saint-Denis révèle à la fois les industries cachées dans des bâtiments désincarnés et anonymes, la trame hétéroclite des populations qui l’occupent ou de mystérieux chercheurs transhumanistes qui mettent en œuvre un saut anthropologique forcé par la technologie. La machine, symbole éminent des sciences modernes, est partout, la ville est elle-même devenue une grande machinerie dans laquelle quelques humains cherchent encore frénétiquement la transcendance.
La sculpture de Tom Bénard fait également référence au Transhumanisme. Retournant leur proposition de modification de l’humain par la machine, c’est ici l’organique qui prend le dessus. Le bâtiment qu’il a conçu est comme une entité matricielle dans laquelle les humains joueraient le rôle d’organes en même temps qu’ils y sont protégés. Il s’agit donc d’un organisme dans lequel on peut différencier des parties mais qui, isolées, n’ont aucun sens. Il en a fait une maquette à l’aide d’une imprimante tridimensionnelle, elle-même sorte de « machine à répliquer » semblant issue de la science-fiction, actuellement source de spéculations, le fantasme de duplication par synthétisation de tout objet par quiconque, mettant fin à l’industrialisation.
Marion Laval-Jantet et Jean-Sébastien Guiliani créent, dans leur bande dessinée Freepolis, une histoire se déroulant en Afrique équatoriale dans un monde futur où la puissance des plantes comme pharmacopée est devenue un enjeu majeur. Sorte de monde d’après le Seed Vault du Svalbard, cette « chambre forte mondiale de graines » issues de toutes les agricultures terriennes ultra sécurisée, dont le but reste énigmatique sauf en prévision d’une catastrophe majeure. C’est aussi l’occasion d’interroger les relations que nos sociétés rationalisantes et scientistes entretiennent avec les cultures qui comptent l’invisible comme partie de leur monde tangible et qui ont développé des rituels initiatiques pour y accéder, notamment à l’aide de psychotropes naturels rares, en l’occurrence, une orchidée.
C’est à la mesurabilité de notre monde que s’intéressent Lily Hibberd et David Guez. Celle-ci transforme un morceau de bois trouvé dans son jardin en sculpture de bronze. Mètre-étalon d’un genre nouveau, mesure de la nécessité intérieure, qui est pur et libre désir ; c’est aussi un objet fantasque : mètre mais partagé en segments de six centimètres, géométrie précise et absurde à la fois. Pataphysique duchampienne, bien sûr, et également réminiscence des heures passées par l’artiste au Musée des Arts et Métiers dans l’hermétisme d’expériences, désuètes par les outils d’époque et d’autant plus fascinantes dans leur dextérité à déployer un décodage ( un codage ? ) du monde physique.
David Guez s’interroge aussi sur la tangibilité de la mesure quand on passe du kilo octet — la mesure du monde numérique — aux étalons historiques, et envisage la réification de la dématérialisation par l’informatique dans des objets artistiques qui offrent un pont conceptuel entre le virtuel et le matériel.
Avec 84 Doors, Baden Pailthorpe expérimente la confusion et la perte de signification à travers le concept de novlangue. Google Translate est utilisé pour traduire des occurrences du roman 1984 de George Orwell, dans les 58 langues proposées à la traduction puis à nouveau en anglais, faisant apparaître les erreurs et équivoques que cette tentative algorithmique de traduction globale et automatisée produit. En retour, l’artiste rend visible dans un étrange diagramme l’effet artistique qu’il a lui-même produit en appliquant ce processus au premier paragraphe du roman, qui devient aussi un nouveau livre, relecture absurde du texte original.
C’est également une référence littéraire qui est à la source de la Stèle de Sandra Aubry et Sébastien Bourg, puisque l’inscription sur cette plaque de granit est la dernière phrase d’une nouvelle des Chroniques martiennes de Ray Bradbury — la planète leur appartenait mais « que signifiait exactement de posséder un monde ? ». Les artistes semblent à la fois poser la fin des mondes quand on les explore dans une manière de pierre tombale et expliciter que le temps de l’entendement est beaucoup trop long pour être compatible avec la frénésie de l’exploration.
Ludovic Duchateau propose une œuvre multiforme puisqu’il s’agit à la fois d’une installation composée d’objets construits — des valises contenant des objets à manipuler — et d’un lieu où les utiliser, de performances participatives auxquelles sont conviés les spectateurs, et de photographies. Chaque samedi, il propose sur rendez-vous d’explorer un monde que nous construirons nous-mêmes avec ces objets qu’il souhaitait « les plus transparents possibles, comme un écran » pour mieux y déployer notre imaginaire enfin débarrassé de toutes les strates de fictions additionnelles qui ne nous appartiennent pas en propre. Comme un jeu pour des adultes qui jouent sans plus connaître les règles, une boîte de constructions archétypales pour compositions abyssales.
L’exposition Sciences et Fictions fait partie d’un projet de recherche du département Art plastiques de l’Université Paris 8 ; il est soutenu par le Labex Arts-H2H. Il se compose cette année de cette exposition et d’une journée de colloque à la Gaîté Lyrique, le 21 mai.
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Vernissage Jeudi 16 mai 2013 18:00 → 21:00
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Conférence Mardi 21 mai 2013 14:30 → 19:30
Un colloque explore cette même question de l’imbrication des imaginaires des sciences et des narrations fictionnelles d’un point de vue plus théorique avec la participation de Pierre Cassou-Nogues, Ludovic Duchateau, Jean-Noël Lafargue, Gwenola Wagon et Manuela de Barros.
Horaires
Du mardi au samedi de 14h à 19h
Et sur rendez-vous
Les artistes
- Sandra Aubry & Sébastien Bourg
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David Guez
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Gwenola Wagon & Stéphane Degoutin
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Lily Hibberd
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Ludovic Duchâteau
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Tom Bénard
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Marion Laval Jantet & Jean Sébastien Guiliani
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Baden Pailthorpe