Olaf Breuning — Still Complaining Forest

Exposition

Film, photographie

Olaf Breuning
Still Complaining Forest

Encore 16 jours : 23 novembre → 21 décembre 2024

Le désastre écologique ne se prête pas particulièrement à l’humour. Ne vous méprenez pas, si l’humanité était anéantie, je trouverais ça hilarant, mais je ne suis pas un chic type. Pourtant, même moi, je ne trouve pas drôle que, sans y être pour rien, jungles, animaux et peuples indigènes soient anéantis par les effets de l’industrie et du consumérisme. Par ailleurs, je n’imagine pas la catastrophe environnementale comme un globe terrestre prêt à basculer dans un précipice (The Edge, 2024), à la manière d’un rocher dans un dessin animé Loony Tunes sur le point d’aplatir un personnage en contrebas. Mais je n’ai pas l’imagination comique d’Olaf Breuning.

Breuning s’est illustré par sa remise en question de la croyance selon laquelle critique et comédie ne vont pas de pair. Ses peintures, sculptures et photographies aux mises en scène élaborées satirisent les aspects les plus corrosifs de la vie moderne, de la rencontre de l’homme avec la nature aux effets de la technologie, le tout en incitant les gens à se déguiser de manière ridicule ou à montrer leurs fesses. Un exemple de son art du c’est Text-Butt (2015), une découpe en carton d’un arrière-train avec des bulles de texte SMS sortant de sa fente. En apparence, il s’agit d’une blague grossière sur le fait de parler « cul par-dessus tête2 » ou au sujet de messages flatulents. En profondeur, l’œuvre évoque les effets méconnus de l’hyperconnectivité sur les intestins : soit les effets sur nos nerfs du fait d’être toujours accessible pour un appel. Text-Butt rejoint d’ailleurs un certain nombre d’œuvres de Breuning qui traitent de la division philosophique entre la conscience abstraite et la sensualité physique — Descartes par derrière. Cette invitation à philosopher pourrait également être une plaisanterie sur l’arrogance et la prétention du critique d’art, qui gonfle l’importance culturelle de ce qui n’est qu’une image amusante d’un derrière.

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Vue de l’exposition Olaf Breuning, Still Complaining Forest, Semiose, 2024 Photo : Aurélien Mole. Courtesy Semiose, Paris

Une grande partie de l’œuvre d’Olaf Breuning explore la relation texte-image et, à l’instar de l’art textuel — pensez à Jenny Holzer, Barbara Kruger, Ed Ruscha –, s’inspire des signes de la publicité (slogans de panneau d’affichage) et de la culture populaire (les créatures imaginaires du Yéti ou Bigfoot, les films d’animation) afin, au moins à un certain niveau, de communiquer clairement et immédiatement avec un large public au sujet des structures politiques existantes. Mais Breuning délaisse le conceptualisme cool au profit de l’absurdité et de blagues souvent vulgaires ; ses relations texte-image appartiennent davantage au monde de la bande dessinée, autre pilier de sa pratique.

En préférant combiner sa mission écologique avec le divertissement et l’accessibilité, l’œuvre de Breuning semble s’aligner avec les tendances post-critiques des deux dernières décennies. Des penseurs tels que Rita Felski et Bruno Latour ont affirmé que les critiques de l’idéologie et du langage sont devenues trop élitistes, autoréférentielles et pessimistes dans leur problématisation des idées, oubliant le plaisir et l’attachement, qui sont particulièrement nécessaires lorsqu’il s’agit d’aborder des problèmes urgents. Latour soutient que la critique a eu un effet négatif sur les campagnes environnementales, en sapant l’idée de vérités ou d’essences universelles, ce qui a permis aux climatosceptiques d’affirmer que les faits du réchauffement climatique sont des constructions sociales, ouvertes au débat. Mais je ne pense pas que les opposants à l’écologie soient occupés à lire Derrida et Foucault et, quand bien même, de tels penseurs ne nous amèneraient-ils pas à remettre en question les intérêts puissants qui se cachent derrière leurs dénégations ? L’art de Breuning nous montre que la critique n’implique pas de sacrifier le plaisir. Son travail est irrévérencieux — il se moque des problèmes en même temps qu’il s’en empare. Il traite les questions environnementales avec sérieux, au sens où ces questions sont importantes et dignes d’attention, mais il ne prend pas les représentations écologiques au sérieux, les abordant sans la révérence solennelle et le respect inconditionnel qu’implique le sérieux. En bref, si on se demande si Breuning est sincère ou non, la réponse est « oui et non ».

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Vue de l’exposition Olaf Breuning, Still Complaining Forest, Semiose, 2024 Photo : Aurélien Mole. Courtesy Semiose, Paris

La naïveté des exagérations cartoonesques de Breuning nous assure de sa sincérité — il est vraiment préoccupé et n’est pas capable de duplicité. Malgré cela, cette exagération grotesque insère une touche d’ironie qui sépare l’image et le texte, l’image et le message. Leave Me Alone (2024), une photographie dans laquelle un Yéti et sa famille regardent anxieusement l’appareil photo, en pleine migration, illustre le sort des populations indigènes chassées de leurs foyers par l’extraction capitaliste. Pourtant, même si Breuning utilise une figure de la culture pop pour attirer le spectateur, son image est aussi une critique des médias de masse plus intéressés par un avatar fictif de l’homme primitif que par les luttes réelles des peuples des premières nations. Gasoline (2024), avec sa figure rouge démoniaque entourée de flammes, suggère à la fois les effets néfastes des combustibles fossiles et le moralisme réducteur qui transforme les problèmes environnementaux en questions de bonne et de mauvaise consommation, encourageant une position fataliste selon laquelle l’homme doit inévitablement payer pour ses péchés contre la nature.

Les signes bibliques reviennent dans Wave Land (2024), une peinture dans laquelle des larmes tombant en pluie produisent d’énormes vagues menaçant d’engloutir la terre. Ici, Breuning fait un clin d’œil à l’Arte Povera en utilisant la nature pour dépeindre la nature, au moyen de rudimentaires impressions aux tampons en bois qui contournent la production industrielle. Les images enfantines inondées de larmes se moquent du sentimentalisme et de l’infantilisme de l’imagerie environnementale — pensez aux publicités de Keep America Beautiful mettant en scène des Amérindiens pleurant à la vue des déchets — même si l’œuvre fait appel à ces mêmes valeurs simplistes. On peut aussi citer Sunny (2019), une vidéo montrant un jeune garçon blond fixant la caméra, la Terre dans les yeux, jusqu’à ce que la planète et l’enfant commencent à brûler. La scène est émouvante, bien qu’elle ressemble à une reprise du clip de Michael Jackson, Earth Song (1995), dont on s’est beaucoup moqué. L’image en boucle, dépourvue de tout contexte narratif, ne permet pas de déterminer si l’enfant est la victime ou la cause de la destruction future de la planète — Icare vole-t-il trop près du soleil ? — tandis que le choix d’un enfant blond aux yeux bleus suggère l’imagerie normative, hétérosexiste et franchement aryenne des campagnes visant à sauver la planète « pour les générations futures ». On peut même se demander si l’image répétitive ne suggère pas l’échec de ce cliché familial. Tant de choses sont en jeu ici : non seulement l’avenir de la planète, mais aussi le type de planète que nous voulons voir survivre. En bref, Olaf Breuning semble nous dire que ces problèmes sont trop sérieux pour être traités sérieusement.

Paul Clinton

Paul Clinton
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