Tania Mouraud — Pourquoi les collines pleurent-elles ?
Exposition
Tania Mouraud
Pourquoi les collines pleurent-elles ?
Passé : 3 octobre → 23 novembre 2024
De Tania Mouraud, nous connaissons les écritures déployées à l’échelle de l’architecture, les paysages grandioses et les vidéos frappantes. Pour la toute première fois, elle nous présente au sein de l’exposition Pourquoi les collines pleurent-elles ? des dessins réalisés à la main et des formats intimistes, qui nous invitent à nous rapprocher.
Dans la continuité de sa recherche sur la plasticité des écritures, les lettres se mêlent et s’emmêlent au sein de la série Pasik (2024). Le poème, de source yiddish, se brouille comme un regard embué de larmes. Illisible, il exprime par-delà les mots la tristesse ressentie par l’humanité devant les guerres qui n’ont de cesse de se répéter.
L’insistance du geste évoque une rature, celle de la réécriture perpétuelle d’une même histoire, jusqu’à la saturation ou l’oblitération. À moins qu’il ne s’agisse des bandes brûlées tombées d’un projecteur, qui aurait joué le même film en boucle. Les collines évoquées par le titre de l’exposition se devinent presque le long du contour ombré d’un signe, dessinant le volume d’un corps de lettre aussitôt noyé parmi ses semblables. Dans la pièce suivante, c’est au sein d’un miroir qu’une citation de Gandhi se fracasse. « Should I go on forever ? ». La question est rhétorique aussi bien concernant la personnalité politique indienne que Tania Mouraud, pour qui la lutte n’est pas un choix : elle durera aussi longtemps que nécessaire, quitte à ce que ce soit éternellement.
Plus loin, le papier dessine en relief, toutes de blanc vêtues, des lettres gaufrées (Gaufrages, depuis 2023). Disposées les unes à côté des autres, elles dessinent des mouvements ou des architectures. Entre les creux et les contours des lettres, le regard se perd. Signe et surface se mêlent. L’un procède de l’autre. Ils ne font qu’un et ne sont jamais séparés. Cette forme jamais détachée de ce qui l’entoure n’est pas sans rappeler le positionnement de l’artiste au sein de ses Initiation Rooms, voire dans l’ensemble de son œuvre : ses installations comme ses séries de photographies ou ses vidéos reposent sur le présupposé que nous faisons partie d’un tout. Se croire séparé·e du monde, n’est- ce pas là le plus grand des risques, puisqu’alors le monde nous appartient alors que c’est nous qui appartenons au monde ? Les ballots de paille plastifiés de la série des Borderland (2007-2010) reflètent ainsi la campagne environnante, comme un œil reflète ce qu’il regarde. Ici encore, surface et objet représenté font corps. Sur cette matière plastique qui pollue le monde de ses plus hautes cimes à ses abysses les plus profondes, se déploie un paysage comme peint à l’huile, qui frôle l’abstraction. De même, c’est notre propre reflet que nous rencontrons lorsque nous contemplons les Mots-Mêlés (2018) ces extraits de poèmes et d’opéra transformés en espaces géométriques et peints sur tôle.
Paysages et lettres se répondent. L’espace sombre, saturé de signes de DERTSEYLN 9478 (série Canvas, 2021) rappelle les marécages de Film Noir (2011-2021). La série des Shmues (2020) où les lettres tranchent l’espace fait écho aux Hybridations (2008-2019) où des lignes blanches se découpent en négatif.
Tania Mouraud réussit l’exploit de se réinventer sans cesse tout en nous invitant dans un univers cohérent. Ses œuvres récentes dialoguent avec des pièces plus anciennes, aussi bien formellement que par l’écho d’une philosophie commune.
Cécile Renoult — 2024