Thierry Mouillé — Cosmosaïque

Exposition

Dessin, installations, sculpture, son - musique...

Thierry Mouillé
Cosmosaïque

Passé : 12 mai → 20 juillet 2012

Comme un chinois ondulant sans douleur le long de la démarcation des polarités, Thierry Mouillé fait fi de tous les arraisonnements logiques. Il en fait même son miel, dès que la théorie ou la critique arrête une définition de son travail, il la déplace et la dépasse avec agilité, faisant surgir quelque imprévu qui remet tout en jeu. Affligé du talent incurable de n’évoluer qu’au milieu d’un champ de forces, Thierry Mouillé n’en rapporte que les bonnes ondes. C’est qu’il a choisi son camp : il avance masqué sous l’appellation incontrôlable de Fondation Mouvante, qui lui sied mieux qu’une identité administrative fixe, nom-prénom-date-de-naissance.

La Fondation Mouvante est comme la révolution terrestre : elle n’a pas vocation à s’arrêter. Arrêtons-nous donc à sa place et examinons le présent état de ses activités.

Ici, pas de scandale, rien — et c’est déjà considérable — qu’une irrévérencieuse invite à jouer dans tous les sens. S’il n’est pas possible, hormis pour Gulliver, d’agiter les marionnettes de bois qui pendent comiquement ça et là, on peut, en revanche, faire un bœuf avec chacun des instruments à vent, dont les embouts sont tous accessibles. Leur anatomie n’est pas sans danger pour l’interprète, qui peut s’égarer dans les significations des objets convoqués ici (tableau d’écolier, barrière anti-émeute) et court de surcroît le risque de s’envoyer dans l’oreille toute la puissance de son propre souffle.

En parlant de souffle, Thierry Mouillé dédramatise à l’envi son propre cas — qui a cependant la gravité même d’un principe physique — en se décrivant comme un « animateur». Ne nous laissons pas avoir par la dérision du terme, dont il faut entendre ici le sens premier : anima, l’âme, le souffle.

Il y a 18 ans, Thierry Mouillé avait proposé que les souffles conjugués de 6 milliards d’individus surjouent, ou déjouent, l’angoisse millénariste en jaillissant tous ensemble, à la veille de l’an 2000. Toute cette agitation aspirait — en expirant — à modifier l’orbite de la planète. Il n’est pas impossible que ce souhait ait été exaucé, puisque l’axe de la terre, on l’a appris depuis, a révisé sa position.

Fort de cette ahurissante caution donnée à ses hypothèses, Thierry Mouillé a serré encore davantage les liens inextricables qui l’attachent à la science. En témoigne le film consacré aux cinq ans de cours de Pierre-Louis Lions au Collège de France. Coupés de façon à décaper la substance la plus habituellement intelligible du raisonnement, ces cours sont assemblés en remontant le cours du temps, et le grand professeur rajeunit tandis qu’on ne le voit qu’effacer le tableau sur lequel sa réflexion a vu le jour. De possibles théories mathématiques nouvelles s’écrivent dans cet assemblage, d’où jaillissent aussi, magiques, des formules qui ont tout l’air de parler d’art.

Le savoir, ici et de la meilleure qualité actuellement disponible, est travaillé comme une matière première, et respecté. Dans des pièces qui semblent d’un autre registre, il n’est pas moins humble, le geste de gratter au couteau, comme un berger son bâton, le bord du cadre des Tas de bois, dont les rognures se prêtent si bien à leur devenir-dessin (Hans Hartung, Kandinsky), parodique et malicieux.

Autre révérence avec sourire en coin, une chaise dessinée par un grand homme (Charles Eames) lévite élégamment sur les conduits d’air qui remplacent ses pieds, appelant le jeu sonore. On ne peut pas davantage s’y asseoir qu’on ne peut griffer le sol avec les râteaux et balais de Moebius rangés en contrepoint. L’infini de la scie n’a pas la forme du symbole habituel, des crans (d’arrêt ?) remplaçant le 8 renversé que l’on connaît. Le support d’écran de projection qui trône au fond d’une salle est tendu de dentelle. Pas de toile de jouy, pas de tulle, pas de filet de pêche ni de dentelle industrielle blanche. Y projette qui pourra ses propres expériences de la transparence à deux sous, ses fantasmes d’immaculé, ses conceptions en ombres portées à travers le motif. Ce dernier, débrouillez-vous avec ça, n’est pas dans le tapis.

Chaque voie empruntée dans cette exposition nous dit que les dimensions dans lesquelles la Fondation Mouvante nous invitent à évoluer nous jettent, une nouvelle fois, dans les supercordes.

Le grand malheur de Thierry Mouillé, c’est sa conscience, qu’il n’a ni mauvaise ni bonne, mais épouvantablement juste, c’est à dire en plein dans le mille : là même où il y a autant de devants que de derrières, de hauts que de bas, d’inverses que d’identiques, de tout que de rien. Au centre de l’univers, en somme, ce qui l’oblige à un examen infini de toutes ses directions.

Le grand bonheur de celui qui voit le résultat de cette épuisante clairvoyance, c’est qu’au premier regard, son attention est payée de retour par le plaisir qu’elle procure ou la complicité qu’elle inspire.

Thierry Mouillé, né à Poitiers en 1962, vit et travaille à Paris. Il a étudié aux écoles des beaux-arts de Poitiers, Tours et Bordeaux et enseigne actuellement à Annecy. Lauréat de la Villa Médicis en 2007 — 2008, son travail est présent dans de nombreuses collections publiques et privées. Son actualité en 2012 : expositions Anicroches (Espace Culturel Louis Vuitton), Extrapérimental (Angle Centre d’art contemporain) et Méditerrationnel (proposée par l’école des beaux-arts de Marseille), Mobile-Immobile (Musée des Beaux-arts d’Amiens), Festival des arts éphémères (Marseille).

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