Toulouse-Lautrec — Résolument moderne
Exposition
Toulouse-Lautrec
Résolument moderne
Passé : 9 octobre 2019 → 27 janvier 2020
Trois rejets conditionnent la vision courante de Henri de Toulouse-Lautrec : il aurait méprisé les valeurs de sa classe, négligé le marché de l’art, exploité le monde de la nuit parisienne et du sexe tarifié ; en le regardant de haut. La libération des formes et la verve satirique du meilleur de l’œuvre en seraient la garantie visuelle.
A cette vision conflictuelle de sa modernité, typique des années 1970-1980, il faut en substituer une autre, plus positive. Cette exposition — qui réunit environ 200 œuvres — veut, à la fois, réinscrire l’artiste et dégager sa singularité. La contradiction n’est qu’apparente, tant Lautrec lui-même a agi simultanément en héritier, en homme de réseau, en conquérant de l’espace public et en complice du monde qu’il a traduit avec une force unique, rendant plus intense et significative « la vie présente ». Plutôt que de l’affilier à la caricature qui cherche à blesser, voire humilier, il faut le rattacher à une lignée très française du réalisme expressif, brusque, drôle, direct (dirait Yvette Guilbert) dont sa correspondance égrène les noms : Ingres, Manet, Degas. Comme eux, Lautrec fait de la photographie son alliée. Plus qu’aucun autre artiste du XIXe siècle, il s’associa des photographes, amateurs ou professionnels, fut conscient de leur pouvoir, servit leur promotion par l’affiche. L’archive photographique de Lautrec rejoint, du reste, les pratiques du jeu aristocratique sur les apparences et les identités qu’on échange à plaisir, moyen de dire que la vie et la peinture n’ont pas à se plier aux limites ordinaires. Tout l’enchantait.
Depuis 1992, date de la dernière rétrospective française de l’artiste, maintes expositions ont cherché à réinscrire l’œuvre de Toulouse-Lautrec (1864-1901) dans la « culture de Montmartre » dont il serait, à la fois, le chroniqueur et le contempteur. Le Paris des plaisirs interlopes et des aliénations modernes, du cancan au bordel, aurait trouvé en lui son complice et son juge. Cette approche sociologique, heureuse par ce qu’elle nous dit des attentes et inquiétudes de l’époque, a réduit dramatiquement la portée d’un artiste que ses origines, ses opinions et son esthétique ouverte préservèrent de toute tentation inquisitrice. Lautrec ne s’est jamais érigé en accusateur des vices urbains et des nantis impurs. Par sa naissance, sa formation et ses choix de vie, il s’est plutôt voulu l’interprète pugnace et cocasse, terriblement humain au sens de Daumier ou Baudelaire, d’une liberté qu’il s’agit de mieux faire comprendre au public d’aujourd’hui. A force de privilégier le poids du contexte ou le folklore du Moulin-Rouge, on a perdu de vue l’ambition esthétique, poétique, voire politique, dont Lautrec a investi ce qu’il apprit, tour à tour, auprès de Princeteau, Bonnat et Cormon. Comme l’atteste sa merveilleuse correspondance, Manet, Degas et Forain lui ont permis, dès le milieu des années 1880, de transformer son naturalisme puissant en un style plus incisif et caustique. De vraies continuités s’observent de part et d’autre de sa courte carrière. L’une d’entre elles est la composante narrative dont Lautrec se départit beaucoup moins qu’on pourrait le croire. Elle est particulièrement active aux approches de la mort, vers 1900, quand sa vocation de peintre d’histoire prend une tournure désespérée. L’autre dimension de l’œuvre qu’il convient de rattacher à son apprentissage, c’est le désir de représenter le temps, et bientôt d’en déployer la durée plus que d’en figer le mouvement. Encouragé par sa passion photographique et l’adoubement de Degas, électrisé par le monde des danseuses et des inventons modernes, Lautrec n’aura cessé de reformuler l’espace-temps de l’image.
Dès que l’œuvre bascule dans cette synthèse saisissante, dont il faut rapprocher la démarche des anciens condisciples de l’atelier Cormon (Louis Anquetin, Emile Bernard, Vincent Van Gogh), Lautrec développe une stratégie entre Paris, Bruxelles et Londres, que l’exposition souligne en distinguant la face publique de son œuvre du versant plus secret. Lautrec renonce au Salon officiel, non à l’espace public, ni au grand format. Preuve qu’il cherchait bien, comme Courbet et Manet avant lui, une relève de la peinture d’histoire par l’exploration de la société moderne en ces multiples visages, au mépris parfois des bienséances. Qu’il ait joui du spectacle de Montmartre, qu’il ait célébré l’aristocratie du plaisir et des prêtresses du vice à la façon de Baudelaire, est indéniable. La maison close lui offre même un espace où les femmes jouissent d’une indépendance et d’une autorité uniques, si paradoxales soient-elles. Nul autre peintre, en outre, n’a trouvé les moyens de communiquer l’éclat dur des éclairages et des reflets, la fièvre d’une clientèle aguerrie aux excès, l’électricité du cancan. Le mouvement, que rien ne bride, se décompose devant nos yeux, aboutissant aux affiches les plus dynamogènes, comme aux estampes de Loïe Fuller et aux panneaux de la Goulue, également cinématographiques. Il y a là une folie de la vitesse et une capacité pré-futuriste qui réunit le cheval au galop, le chahut des cabarets, la fièvre vélocipédique à l’automobile. Mais la magie des machines ne parvient pas à déshumaniser la peinture, toujours incarnée et même les affiches les plus économes de moyens. De même que ses écrivains d’élection, de Jules Renard aux familiers de la Revue blanche, Lautrec est parvenu à concilier la fragmentation subjective de l’image et la volonté de hisser la vie moderne vers de nouveaux mythes. Entre peinture, littérature et nouveaux médiums, l’exposition trouve son chemin, au plus près de cet accoucheur involontaire du XXe siècle.
Horaires
Les horaires d’ouverture du Grand Palais dépendent des expositions ou des événements qui s’y déroulent
Tarifs
Plein tarif 30 € — Tarif réduit 15 €
- —
- —
- —
- —
L’artiste
-
Henri De Toulouse Lautrec