Youri Lenquette — Punk Nuggets, Original Artyfacts 1977-1985

Exposition

Photographie

Youri Lenquette
Punk Nuggets, Original Artyfacts 1977-1985

Passé : 19 novembre 2013 → 22 février 2014

Sans faire pleurer dans les chaumières, Youri a grandi un peu tout seul. Très tôt, donc, il avait déjà plus vu, vécu et bourlingué que la plupart de ses futurs collègues. Nous fantasmions sur un « mode de vie rock ». Youri l’avait déjà testé, à certains égards. Peut-être ça, après tout, que les musiciens sentaient. Mais s’il avait le privilège d’être admis de l’autre côté de la barrière, autour du feu de camp, son expérience, son instinct, son ange gardien, lui faisaient toujours garder la bonne distance. « Assez près » pour que la photo soit bonne, mais pas trop proche non plus de la flamme, afin de ne pas s’y brûler. Combien de compagnons de route des groupes se sont carbonisés à leur contact. Youri, lui, est encore là, indemne, pour exposer et témoigner.

En 1981 il était correspondant du mensuel Best à Londres. Son premier reportage correspondit à mon premier voyage de presse pour Rock&Folk : un abject concert de Adam & the Ants, mais j’ai des raisons de ne pas regretter le déplacement, entre autres parce que Lenquette et moi devînmes illico amis. Et dans les années qui suivirent, je pus le voir évoluer professionnellement. La photo qui, ado, avait été un hobby distrayant, puis, une fois journaliste, une manière de compléter ses articles, devint bientôt un métier et même un art. Mais toujours, quoiqu’il arrive, en se tenant « assez près » pour que Robert Capa approuve.

Laurent Chalumeau : Quels sont les critères qui ont décidé de la sélection des photos ?

Youri Lenquette : Tantôt l’intérêt documentaire, tantôt d’éventuelles qualités graphiques. Par exemple, tu as la photo de Mick Jones, Captain Sensible et Bernie Rhodes assis en rang d’oignon. La photo n’est pas renversante, mais elle fixe un moment : six mois plus tard, la messe sera dite, les Clash seront partis jouer dans une toute autre league. Mais là, tout le monde est encore au même niveau et tape la discute, tire sur le pète. D’autre fois, la photo est intéressante ou pittoresque, mais elle donne à voir de parfaits inconnus. Et puis parfois, tu as le coup de bol : c’est bien cadré, bien composé et ça dit quelque chose d’un de tes musiciens préférés.

LC : Il se dégage des photos une spontanéité et une absence de prétention qui colle assez bien au sujet. Comment les considères-tu aujourd’hui ?

YL : A l’époque, je voyais ça comme des souvenirs, des aides mémoire, des moments capturés. Puis des illustrations pour donner vie à mes articles. Il n’y a pas encore de réflexion derrière. C’est surtout de la photo de fan de musique, plus que de photographe. Le bol, après, c’est que les musiciens que je photographiais aient conservé un intérêt trente ou trente-cinq ans plus tard et qu’ils aient été dès cette époque plutôt photogénique. Et puis à force d’en faire, je me suis rendu compte que mes articles, tout en étant corrects, n’avaient aucune chance de développer une dimension artistique propre et resteraient donc toujours à la remorque du travail de quelqu’un d’autre. Tandis que les photos, ma foi, même si j’étais encore très tâtonnant, au moins, c’était quelque chose que je produisais moi. C’était plus stimulant.

LC : Certaines photos donnent l’impression d’avoir été prises sur scène par un membre du groupe.

YL : Vu l’ambiance dans les concerts punks de l’époque, être devant la scène avec un appareil photo, c’était mission impossible. Le seul moyen pour ne pas être trop bousculé, c’était d’être sur scène. A condition, bien sûr, que le groupe accepte de t’avoir dans les pattes.

LC : Justement, j’ai toujours été frappé par ta proximité immédiate avec les musiciens et l’accès total qu’ils t’accordaient, tandis qu’ils se méfiaient des autres journalistes ou photographes. Comment l’expliques-tu ?

YL : Je ne sais pas. La sincérité de mon enthousiasme devait être patente. Et puis, peut-être aussi parce que j’essayais de me comporter le plus naturellement possible. La bonne attitude, en fait, c’est de n’en pas avoir. La limite de l’exercice, après, c’est qu’on t’accepte comme un membre de la bande aussi parce que tu sais quand tu dois t’arrêter de photographier. Or, il y a parfois des trucs que tu regrettes de ne pas avoir pu shooter, ou même filmer. Je me souviens par exemple d’un après-concert avec Motörhead qui fut un condensé de tout ce qu’on peut lire ou fantasmer sur les excès du « mode de vie rock & roll ». On est partis avec des bikers dans leur local, puis, avec eux, on est allé dans un routier où ça a failli finir en baston, puis après dans un bar à putes à Marseille, tout ça bien sûr dans une sarabande de transgressions diverses, mais aussi dans une atmosphère très bon enfant. Mais là, évidemment, pas question de sortir ton appareil.

LC : A propos de bikers, justement, tu penses que les moments passés avec les membres d’un club de la côte t’avaient appris à te faire discret.

YL : Peut-être. Mais c’est surtout l’intérêt pour les motos autres que japonaises qui constituait une bonne entrée en matière avec les musiciens. Les gars te voyaient arriver pour l’interview ou la séance sur une machine intéressante, ça pouvait te distinguer des collègues. Ou si ça venait dans la conversation, subitement, le genre de moto que j’aimais, ça faisait un point commun, ça créait une complicité. D’autres journalistes ont sans doute dû avoir ça avec le foot.

LC : Ces photos courent sur presque dix ans. Avec le recul, que penses tu qu’elles racontent de toi, ou de l’évolution de ton regard ?

YL : C’est le passage de l’amateurisme éclairé au professionnalisme. Exactement comme les musiciens punks que je shootais ou côtoyais. Nous avions le même âge. Ils avaient attrapé une guitare, moi un appareil. Mais si tu prends punk au sens de dadais de vingt ans arrogant qui déborde d’énergie et d’appétit de vivre vite, ici et maintenant, c’est sûr : pendant ces années-là, eux comme moi, nous étions punks. Après, on s’est tous mis à mieux savoir ce qu’on faisait. Ça, c’est la bonne nouvelle. La moins bonne, c’est que du coup, nous avions moins vingt ans ! C’est ça l’évolution : le passage à une photo mieux réfléchie, mais donc à l’âge adulte. Comme je disais : avec la chance que les sujets aient bien vieilli et que plusieurs fois, moi et mon appareil, on se soit trouvés au bon endroit au bon moment.

Laurent Chalumeau
  • Vernissage Samedi 16 novembre 2013 18:00 → 21:00
Galerie Addict Galerie
Plan Plan
03 Le Marais Zoom in 03 Le Marais Zoom out

14-16, rue de Thorigny

75003 Paris

T. 01 48 87 05 04

www.addictgalerie.com

Saint-Sébastien – Froissart

Horaires

Du mardi au samedi de 11h à 19h

L’artiste

  • Youri Lenquette