Bente Skjøttgaard
Les croisements de registres, notamment ceux entre nature et culture, sont depuis toujours au cœur des recherches de la plasticienne-céramiste Bente Skjøttgaard. Parfois l’inspiration première est celle de la nature — une tempête dans une forêt, la géologie, les mouvements des nuages et de l’air voire le monde sous-marin. Parfois c’est la longue histoire de la céramique avec ses possibilités et le défi de ses limites qui déclenchent le processus créatif. Une approche ludique liée à une recherche rigoureuse caractérise la démarche de l’artiste ; elle suit « la volonté » de la matière tout en tentant de la pousser toujours plus loin. Dans l’univers de Bente Skjøttgaard la glaçure n’est pas seulement un terrain d’expérimentation infinie de couleurs et de textures, elle est partie intégrante de ses sculptures. « La glaçure donne forme » dit-elle.
Espèces nouvelles
Dernièrement l’agenda de Bente Skjøttgaard consistait en une histoire poétique du contenant/le pot et de la branche/le colombin : un jour, l’être humain a eu besoin de contenir, de transporter, de préserver, de protéger… Il a peut-être pris un coquillage pour soulever l’eau vers sa bouche ; il s’est réjoui que l’eau de pluie s’accumule dans le creux d’une roche ou bien il a admiré le tressage des nids qui permettait aux oiseaux de vivre en hauteur loin des dangers de la terre… Ces suppositions s’inscrivent dans l’histoire des civilisations. Nous savons que le contenant en terre se retrouve dans toutes les cultures et qu’il représente une des premières traces de l’ouvrage humain. Les nouvelles œuvres de Bente Skjøttgaard partent de branches plutôt grosses car elle a « tricoté sur des aiguilles épaisses » pour monter des structures très ouvertes, ondulantes… Dans ce maillage organique des « nids-bols-contenants » se nichent en solitaire ou à plusieurs, s’ils ne se posent pas carrément dessus formant une pièce montée des plus extravagantes…
Les couleurs sont vives — des roses, mauves, jaunes acidulés et bleus de cobalt en combinaison avec un blanc immaculé. Les surfaces mates en rencontrent d’autres lustrées ; densités et transparences se déploient dans un jeu de craquelures et de dessins en relief tels celui des écorces et des peaux animales, voir celui d’un marbre encore inconnu…
Nuages et turbulences
Le sujet des nuages a été omniprésent dans les expositions personnelles récentes de Bente Skjøttgaard entre 2010 et 2016. Blancs et dodus, couleur pastel « marshmallow » ou d’un bleu cobalt rappelant la porcelaine classique, ces œuvres inspirées d’observations scientifiques se sont muées en un parc personnel, imaginaire, ludique et léger de nuages. S’offre ici une opportunité de réfléchir à des éléments fondamentaux de notre existence en tant que civilisation et tributaire d’une nature qui nous dépasse. La céramique, matière de la nature et véhicule de culture par excellence, devient un médium ludique et perspicace pour « montrer » ce qui est tellement omniprésent que nous l’oublions.
Des « nuages/arbustes » créés par des entrelacs de fins colombins de terre posent sur leur tige. Ils sont liés à l’idée de miroir, de double, avec des compositions qui s’organisent autour d’une ligne horizontale centrale, sorte de scission visuelle colorée à partir de laquelle deux moitiés quasi identiques partent respectivement vers le haut et vers le bas. Dans d’autres œuvres, la base recouverte de glaçures brillantes turquoise et verte reflète les nuages qu’elle porte. Elle agit comme un « miroir de ciel sur terre » à l’instar d’une simple flaque d’eau où l’on peut voir le ciel. Bente Skjøttgaard a aussi créé des natures mortes en volume, où un mouvement de tourbillon jouxte une formation de nuage démesurément large reposant sur de fines tiges. L’ensemble se distingue par un équilibre fragile.
Le tourbillon, qui fait basculer le temps et notre environnement physique en quelques instants, est fascinant. L’artiste l’a étudié de près pour créer ses Turbulences, structures frêles qui touchent tout juste le cercle fin leur servant de base. Leurs cornets très ouverts, plus ou moins inclinés, sont prêts à poursuivre une valse centrifuge sur l’eau ou dans l’air, chargeant ces sculptures d’une puissance contenue.