Chloé Dugit-Gros
Affichée au mur, une photo du film Alligator People donne à voir une femme menacée par un mutant à tête de crocodile. Directement sortie de l’imaginaire des monsters B-movies des années 1950, cette image est ici ramenée à sa théâtralité et à sa surface, dans une planéité renforcée par les ombres portées des personnages. Sa matérialité est brusquement interrompue par les couleurs de deux sweats à capuche, accrochés aux personnages, la transformant en poster d’une culture contemporaine qui inscrit les produits de l’industrie dans une relecture des liens entre l’histoire culturelle et l’inconscient collectif. Cette façon d’éloigner les images dans le temps à travers un regard porté sur les transformations de leur technique et texture, dessine en quelque sorte une archéologie de la culture visuelle. Dans Sans titre (2008), ce qui ressemble à un immense tableau noir d’école est sauvagement affublé d’une photo montrant un jeune garçon qui pose fièrement en Zorro des rues, avec des gants noirs qui tiennent un couteau. Mais là encore, c’est la théâtralité de l’image qui est mise en évidence (dans le mimétisme de la posture fantasmée d’un anti-héros), et la matérialité de la reproduction (à travers la colle qui dégouline sur le tableau).
Ce goût du low-fi autant que de la low culture, apparaît aussi dans Bach is back ! (2006), une palissade installée entre deux salles où il reste la trace d’affiches arrachées. Si l’on peut y voir un renversement du geste des affichistes (ici l’attention est portée au vestige), il s’agit aussi de signaler une mobilité entre des pratiques et des références culturelles — la seule affiche épargnée annonce le compositeur Bach — qui constitue aujourd’hui nos identités. Par le biais d’interventions frontales, proches des modalités du décor, l’artiste s’intéresse à la fonction de l’espace d’exposition, pouvant aller jusqu’à introduire une menace de destruction dans les structures mêmes de l’espace, à l’image de cette cimaise recouverte d’une bâche où l’artiste tague Do not bulldoze à la bombe aérosol (L’occupation des sols, 2006).
Néanmoins, Chloé Dugit-Gros a ensuite plutôt cherché à déconstruire le travail classique d’atelier, invitant brutalement ses outils à s’exposer. Ainsi, des tables d’atelier découpées et assemblées servent à construire un cheval d’arçon où restent visibles les taches accidentelles de peinture, dans une mise en parallèle ironique entre le culte de l’effort sportif et la bravoure théâtrale du geste expressionniste. Le principe d’une abstraction qui se révèle figurative est présent dans une installation composée de formes géométriques aux allures de maquette d’architecture moderniste. Celles-ci sont en fait la transposition en volume d’une série de symboles que les voleurs dessinent sur les façades des maisons, indiquant les éventuels dangers à considérer dans une prochaine intrusion (Code des cambrioleurs, 2008). L’abstraction peut ainsi se confondre ici avec un code infiltrant et voyou, échappant à la propriété du sens commun.
Chloé Dugit-Gros
Contemporain
Dessin, installations, techniques mixtes
Artiste née en 1981.
- Localisation
- Paris, France
- Site Internet
- www.chloedugitgros.com
- Thèmes
- Assemblage / accumulation
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