Frédérick Carnet
Sortir de la matrice du conditionnement, Frédérick Carnet et l’image existentielle.
Comme toutes les ascèses, celle de Frédérick Carnet commence par le passage d’un sas. Il faut sortir. Il faut en finir avec l’étouffoir. Quel étouffoir ? La vie rêvée, celle qui déçoit forcément, tôt ou tard. Au profit de quoi ? De la vie même.
Cet ouvrage photographique, non sans hasard, s’ouvre sur un acte de passage, sur une traversée. Un homme, que quelques laconiques photographies présentées en introduction viennent de montrer vaincu, abandonne sa position fétiche d’homme battu — portant capuche, pour se cacher ; se carrant, immobile, visage contre le mur — et voici qu’il sort au grand jour, au grand air. L’image qui indexe cette sortie est signifiante entre toutes, presque jusqu’au cliché. L’homme que voici, Frédérick Carnet en personne, devant nous, vient de traverser un oculus minéral ménagé par l’érosion dans un obstacle montagneux, un trou si l’on préfère, puis il se retrouve dehors. Notons que l’image est ainsi composée, comme si l’artiste avait utilisé un déclencheur à distance ou les services de quelqu’un pour s’autoportraiturer : nous le voyons devant nous, spectateurs, déjà de l’autre côté de l’image, de l’autre côté du miroir. Comme si la matrice, l’utérus, lors du mécanisme de la naissance, avait des yeux pour voir l’enfant vider les lieux, par le vagin. Et nous le savons, nous l’intuitionnons, sans pouvoir vraiment l’expliquer. Enfin sa vie — la vie même, donc — va commencer.
De cet homme qui est passé de l’autre côté, on pourrait dire en somme : il se retrouve, tout court. Il a suffi de passer le pont. Il lui a suffi d’affronter le vertige du face-à-face avec soi. Un acte héroïque, tant il faut consentir à se débarrasser d’à peu près tout ce qui a été acquis. L’ouvrage photographique que voici, qui recense le mouvement du photographe dans la vie même, une fois le sas passé, ne parle que de ça, un homme qui intègre la réalité la plus élémentaire du monde pour enfin savoir où positionner son propre corps, son propre être. Des lieux vides succèdent à des lieux de brouillard, des lieux de la solitude à des lieux de parcours où l’on marche pour soi, la lumière manque, on avance à tâtons en ces territoires du jour incertain mais cela en vaut la peine. Il y a une vérité au bout, n’en doutons plus. On croise parfois des corps, en ces lieux à la marge des lieux, celui d’une femme, la femme aimée sans doute, mais la contorsion des figures ne dit rien d’autre que cela, encore et encore : quelle position, en ce monde, adopter, et figer, qui nous satisfasse ?
Chroniques d’un absolu ? Une traversée physique, une traversée symbolique. Ce travail de rédemption mené à plein corps, en avant toujours, sans plus reculer, l’appareil-photo en bandoulière, est le producteur d’indices d’une renaissance. Autant dire l’adieu aux armes de la vie ordinaire et normée, et le bonjour à l’existence indexée au plus près par des images qui sont des constats de la présence parfaite. Enfin, j’ai trouvé, je mets dans l’image ce qui est mieux qu’elle, tout simulacre évincé — moi.
Paul Ardenne (écrivain et historien de l’art).
Frédérick Carnet
Contemporain
Photographie
Artiste français né en 1972 à Champigny-Sur-Marne, France.
- Localisation
- Allemagne
- Site Internet
- www.frederickcarnet.com
- Thèmes
- Chaos, déplacement, disparition, empreinte, environnement, environnement urbain, humain, imaginaire , liberté, lumière, narration, nature, paysage, poésie, romantisme, voyage