Gregory Derenne
Dans le régime d’illusion qu’est la peinture, les œuvres de Grégory Derenne assument leur artificialité. Quoi de plus faux, en effet, qu’une toile recouverte de couleurs et qui voudrait signifier le réel ? Nous montrer que nous n’avions pas vu ce que nous avons vu : l’axiome célèbre de Paul Valéry sonne aujourd’hui comme un évidence, après les multiples incartades aux confins de l’inconscient dans lesquelles s’aventura l’art du XXe siècle.
Le tableau depuis longtemps n’est plus une fenêtre ouverte sur le monde, ni même un voile invisible déchirant la surface des choses. Il est plutôt, dans l’œuvre de Grégory Derenne, l’avènement du réel à la surface de la toile. Partant du noir pour aller vers la lumière, l’artiste peint par affleurements de matière colorée sur des toiles sombres non préparées qui absorbent la brillance de la peinture. Le tableau, mat, affirme sa surface brute comme la peinture à fresque : c’est un mur, non une échancrure dans le réel.
Le monde de faux-semblants que Grégory Derenne choisit pour sujet est englouti par cette technique non-illusionniste. Les plateaux de télévision, nouveaux théâtres des vanités, sont vus des coulisses et la silhouette de leurs protagonistes reste indéterminée. Le spectaculaire pour écran plat et le sursignifiant des discours formatés sont ici liquidés au profit d’un jeu de formes et de couleurs : un écran de contrôle devient une tache de lumière ponctuant une composition, la lumière d’un spot enflamme un angle, les cloisons d’un décor dessinent des plans sombres ou lumineux qui organisent l’espace. Le fouillis du dispositif technique — câbles, projecteurs, galeries, ceintres, écrans — est absorbé par le noir, qui fait office à la fois de fond et de surface. Le volume de ces « boîtes à images » que sont les plateaux de télévision semble s’enfoncer dans le néant, en phase de disparition, dans un retour vers l’écran noir originel.
Réceptacle de projections diverses, la télévision est une « vitrine » déformant la réalité. Dans la série de peintures représentant des vitrines de magasins vides, la nuit, Grégory Derenne brouille les repères d’une réalité tangible : intérieur et extérieur s’imbriquent dans une confusion des contours que contredit la frontalité et la solidité des compositions de l’artiste. Le regard se perd le long des lignes de fuite où se disputent lumière et obscurité. La surface-tableau impénétrable devient alors une aire de jeux où l’illusion, encore une fois, triomphe.