Kristina Bength — À propos — Slash Paris

Le travail de l’artiste suédoise Kristina Benght se base sur la contextualisation de la mémoire. Elle réactive un fait au bord de la désagrégation par sa réinterprétation extensive dans le présent.

Le point central des trois dernière série d’aquarelles de Bength tourne en effet autour du sujet d’une photographe et comédienne, Amanda Kristina Pedersen, condamnée dans les années 1900 pour fraude et falsification d’identités, alternativement masculine et féminine. Le procès eut lieu à Falun en Suède, la ville natale de l’artiste.

Bength elle-même investit l’identité de Pedersen. Elle s’extirpe du fait divers pour se livrer à l’exercice du travestissement mental, dans la peau de son héroïne, et utilise les archives imaginées qui auraient pu être laissées par la photographe.

Les séries Transpositions Within The Image Of A Name et Physionomic Inquiries By Amanda Kristina Pedersen sont ainsi toutes deux inspirées des photographies prises par Pedersen au cours de ses multiples « vies ». Par la transposition de l’image argentique en aquarelle, Bength se fond dans son personnage en même temps qu’elle en extrait la synthèse d’une personnalité qui échappa vraisemblablement à ses juges.

Bength choisit de figurer des lieux dénués de présence humaine, empreints cependant de la marque évidente de son passage. Ainsi, à l’instar de Pedersen, « ni homme, ni femme » ne sont perceptibles dans les aquarelles en noir et blanc. Transpositions Within The Image Of A Name et Physionomic Inquiries By Amanda Kristina Pedersen ont été exposées sous forme d’installations. La première fut suspendue sur câbles en tableaux successifs que ponctuaient, en pièce sonore, le verdict prononcé à l’issue du procès ; la seconde fut montée en plans horizontaux, sur des lits de fer rigoureusement ordonnés. A l’extrémité de cet ordonnancement est accroché un tiroir à archives présentant sur plaques les notes du journal de Pedersen. Celles-ci sont, là encore, une archive fantasmée écrite et lu par une auteure, Vendela Fredricson.

L’action de Bength appuie une nouvelle fois sur le rappel : celui que Pedersen fut photographe dans un hôpital, à un moment de l’histoire médicale où les signes morphologiques étaient associés aux signes pathologiques.

La scénographie clinique mise en place par Bength n’échappe pas à une relation physique avec les œuvres et au mélange des genres. D’une part, elle oblige à adopter soi-même le va-et-vient d’un médecin examinateur qui scrute les images comme s’il s’agissait de radiographies pour Transpositions Within the Image of a Name, ou des patients pour et Physionomic Inquiries by Amanda Kristina Pedersen. D’autre part, l’artiste divise la confusion en séquences à entrées multiples: Kristina Bength/Amanda Kristina Pedersen/Vendela Fredricson, femme/homme, photographie/aquarelle, portrait/lieu, archives/fictions, mémoire/contre-mémoire, passé/présent, intervenant/visiteur, etc.

A l’intérieur de ce labyrinthe mental, Bength questionne la portée de l’acte selon le temps dans lequel il s’exprime. Un cas autrefois passible de peine devient dans le temps actuel plutôt banal. Chez elle, le travestissement, l’adoption d’identités multiples, la normalité, la singularité sont autant de thèmes qui ne subissent aucune loi fondamentale si ce n’est celle du temps. Enfin, Bength se concentre sur un personnage et sur un fait précis et concret de sa vie sans jamais divulguer son visage sans sexe. Elle remplit l’espace d’une présence plus que d’une image avec l’aide de portraits scénographiques de lieux anecdotiques. Ils sont des facettes de Pedersen, sa vision que Bength remplit encore par la sienne propre.

Cathy Larqué, octobre 2010

Kristina Bength est née en 1984 à Falun en Suède, où elle vit et travaille. Diplômée en 2008 du Royal University College of Fine Arts de Stockholm, ses récents travaux ont été exposés en Suède dans des centres d’art et à la galerie Flach+Thulin, ainsi qu’ à Volta art fair à Bâle en 2008.