Marie Lepetit
À partir des données du compas et de l’équerre (les tailles de l’équerre variant en fonction de celles du support), Marie Lepetit trace un motif rendu faussement répétitif tant par le format carré de la toile (ou celui oblongue du papier à dessin) que par les croisements, les superpositions, et autres enchaînements directs ou indirects, de ce motif qui structure la surface et entraine le tout, au moins dans les dernières grandes toiles, aux confins de la dissémination. Un peu comme dans une composition de musique sérielle ou répétitive — celle de Luigi Nono ou de Steve Reich par exemple — que Marie Lepetit écoute souvent dans son atelier. Dans le même temps (le temps de la composition s’entend), mais selon un mode différent, s’y mêle la couleur toujours utilisée avec mesure, voire parcimonie, redéfinie dans les tableaux récents comme luminosité ou lumière reflétée par l’accord de deux couleurs d’une même gamme. La couleur rehausse et accentue points et lignes, unit surface et fond dans lequel le tracé initial, primitif, du compas et de l’équerre se trouve absorbé, et où le motif qu’ils engendrent se défend de toute valeur d’icône ou de simulacre. Ainsi concentrées, tendues ou distendues, points et lignes traversent le support, semblent filer comme des queues de comètes ou des faisceaux, donnant une certaine épaisseur à la surface, et une impression de vitesse à part liée au concept d’infini, en surface. Dans les toiles et dans les dessins de Marie Lepetit, le sens de l’infini n’est ni transcendantal ni sublime. Il est matériel, concret, au même titre que celui qui habite les dessins de la série « Web » de Vija Celmins par exemple, vis-à-vis desquels le travail de Marie Lepetit a plusieurs points de fusion.
Le tableau terminé a une qualité impénétrable (et non pas hermétique) qui n’est pourtant pas si évidente dans le titre qui l’accompagne. Chaque élément en présence (couleur, point, ligne, longueur, relation, correspondance…) agissent tels des paramètres de l’étendue que notre œil parcoure et peuvent en tant que tels varier chacun dans des modes différents. Ces éléments sont définis de manière exacte par le dessin dans chaque mode particulier. Cependant, la moindre variation d’un de ces paramètres provoque un dessin nouveau. Ainsi peut-on considérer ces éléments paramétriques comme des évènements en soi dont la peinture de Marie Lepetit serait l’histoire, dans laquelle un point en circonscrit un autre, une ligne en engendre une autre, nous donne un cercle. Chaque événement nouveau est dérivé de son prédécesseur et dirigé par la main de l’artiste. L’étendue que notre œil parcoure, agit en nous, sur notre propre vue comme cette main sur le support, en faisant des permutations à partir de ce qu’elle est, pour diriger ce qui sera.
Le travail de Marie Lepetit s’inscrit dans une lignée qui va des grands abstracteurs de quintessence (suprématistes et constructivistes russes en tête) à certains peintres américains d’après-guerre. Elle en renouvelle le langage et la structure d’une façon vivante, poétique, affirmant une affiliation de sens transhistorique. Un retour en quelque sorte, dont on peut mesurer la portée depuis quelques années dans une communauté encore dispersée d’artistes (qu’il y aurait intelligence à réunir le temps d’une exposition), œuvrant à la reprise de questions posées hier, toujours permanentes ; mais loin des redites anarchiques, fragmentaires, de la pure abstraction géométrique, ou de la froideur et de la facilité de certains poncifs des tenants de l’art minimal.
Marie Lepetit
Contemporain
Dessin, peinture
Artiste française.
- Localisation
- paris, France
- Thèmes
- Abstraction