Monique Moreira
Lot de deux
Votre travail a pris récemment une nouvelle dimension : vous avez eu ces deux dernières années plusieurs expositions personnelles de votre travail. Dans l’appartement de J.D., par exemple, vous avez été très attentive à l’accrochage. Comment ces œuvres autonomes, extraordinaires de méticulosité, se mettent-ils en rapport avec d’autres objets ?
Ces expositions permettent d’avoir un recul sur mon travail, de voir les tableaux dialoguer entre eux, d’où l’importance de l’accrochage : il fallait qu’ils se répondent. Ce qui m’a plu, aussi, c’est une certaine absurdité : mes tableaux étaient décontextualisés, j’ai trouvé qu’ils étaient à la fois très sobres et s’intégraient parfaitement avec le décor. Mais quand on regarde le contenu, on s’aperçoit que c’est tout à fait absurde.
Qu’entendez-vous par absurde ?
Dans mes tableaux les formes sont très pures, on peut y trouver un certain minimalisme, mais ce qu’ils représentent est absurde : un diptyque sur lequel il est marqué « Plus 50% gratuit », c’est plutôt vulgaire, trivial, et dans un intérieur sobre, cela dénote un peu.
Quelle est la genèse de ces tableaux ?
Tout d’abord je me suis posé la question « Que peindre ? ». On peut considérer qu’aujourd’hui l’artiste a produit une multitude de signes et de langages, et je me suis dit que tout était permis, qu’on pouvait tout prendre, tout se réapproprier. Finalement, on pouvait aussi bien prendre ce qu’on avait sous la main. Tout a commencé un jour en prenant ma douche : lorsque je me suis retrouvée face à mon rideau de douche, j’ai eu l’idée du sujet de mon tableau. J’ai découpé mon rideau de douche et j’ai décidé de le reporter sur ma toile, de le peindre tel quel. Il s’agissait d’en faire un tableau qui serait à la fois une nature morte (le rideau de douche) et un tableau abstrait, d’où l’ambiguïté. A première vue, on pourrait se dire que c’est un tableau d’op art, mais c’est aussi une nature morte : tout dépend du regard que l’on porte sur le tableau. J’ai repris l’objet pratiquement tel quel, sans modifier les couleurs ni l’échelle des motifs, en ne changeant presque rien. L’essentiel, c’était la translation : j’amasse des matériaux dans ma vie de tous les jours ; souvent ce sont des objets insignifiants, des rebuts issus de notre société de consommation, les plus banals possibles, qui nous laisseraient indifférents, et j’en fais des tableaux. C’est ce passage qui m’intéresse : non pas le contenu, puisque le contenu importe peu, mais le glissement, la translation.
Le rapport deux dimensions/trois dimensions est un aspect essentiel du développement récent de votre travail.
Ce qui m’intéresse : c’est l’objet tableau, l’objet en soi, tout entier, avec ses tranches, ses côtés. Je les prends en considération au même titre que le reste, car ils font partie de la définition du tableau.
Il y a dans mes séries récentes l’idée que le tableau prend l’apparence de ce qu’il représente. Dans le Pot-au-feu, les tranches du tableau sont les bords de la boîte, avec les inscriptions sur les côtés. Parfois on trouve des pliages : c’est le cas pour les tableaux Dose, et pour les 16 tablettes du Pot-au-feu. Le tableau devient objet.
Quelle technique utilisez-vous ? Combien de temps passez-vous sur une toile ?
Je fais des peintures à l’huile. Je peins en aplat et je refuse l’expressivité. La peinture se marque peu, c’est un peu comme la « lettre volée » (Roland Barthes, Le Neutre), qui ne se marque pas mais ne se cache pas non plus. De loin on pourrait dire que c’est une sérigraphie : on pourrait passer à côté, oublier que c’est un tableau. En s’approchant on s’aperçoit que ce sont des peintures à l’huile, faites à la main : c’est un travail artisanal.
Le tableau que j’ai mis le plus de temps à faire est le tableau Appuyez ici : j’ai fait une multitude de petits points qui occupent le fond tu tableau, ce sont des points qui font environ quatre millimètres de diamètre et que j’ai dessinés, puis que j’ai peints, c’est un travail qui m’a donné des nausées et des maux de tête incroyables ! Il faut être fou pour faire un travail pareil, mais ce qui comptait pour moi c’était le résultat. C’est parfois un travail de « psycho-maniaque » ; j’ai dû mettre à peu près six mois à faire celui-ci.
Vous faites des dessins préparatoires ?
Oui. Ma méthode est très classique : je fais des dessins préparatoires, au crayon, puis je décalque le dessin sur ma toile. Ensuite c’est du coloriage, c’est très artisanal. Ce n’est sûrement pas sur le vif : j’utilise la règle, des trace-cercles ; mes esquisses sont très souvent petites, je les agrandis au carreau. Je dois d’abord trouver la bonne échelle, qui soit pertinente, ensuite je décalque et je reporte le motif sur la toile.
Il y a en effet des formats très différents dans votre œuvre, comme l’a montré l’exposition récente chez Schirman & de Beaucé. Comment analysez-vous, avec le recul, ces différences ?
Tout dépend du sujet. Quand j’ai fait le diptyque Lot de deux, je l’ai fait en très grand. J’avais envie de faire un grand tableau, et le sujet s’y prêtait car un très grand « lot de deux », c’est complètement absurde. J’ai trouvé le décalage intéressant.
J’ai fait les petits tableaux Dose, avec les pliages sur côtés, mais j’ai aussi fait un tableau beaucoup plus grand qui s’appelle Dose pour une personne. Là encore, c’était une absurdité. J’essaie de trouver la bonne échelle pour chaque tableau en fonction de ce qu’il représente.
Vous avez parlé dans votre processus créatif d’une première œuvre qui est née sous la douche. Qu’il y a-t-il eu avant, dans votre parcours d’étudiante ?
A mes débuts j’étais très attirée par la peinture « expressionniste », Baselitz, Lüpertz ; j’ai essayé de peindre comme ça, mais au bout d’un moment je me suis aperçue que mes tableaux devenaient monochromes. Je ne pouvais pas m’arrêter, et j’arrivais finalement à une peinture grise monochrome : je perdais mes formes. J’en ai fait un blocage, j’ai arrêté de peindre pendant un moment. Et puis, à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts, j’ai décidé de faire des monochromes : puisque je perdais mes formes, j’allais prendre une seule couleur à la fois. Je me suis aperçue que j’y trouvais une lumière, et une composition : finalement des formes apparaissaient, un peu floues. Au bout d’un moment, cela ne m’a plus satisfait ; j’ai donc décidé de prendre un objet avec des formes très strictes, pour ne pas m’égarer. Ce fut une chaise: j’ai peint une chaise pendant je ne sais combien de temps ! La chaise : c’était mon sujet.
Entre la chaise et le rideau de douche, il y a eu notamment un logo : j’ai travaillé à partir d’un logo qui représentait une bobine, et j’en ai fait un diptyque. J’ai pris le centre de cette bobine, je l’ai agrandi, et cela donnait une toile abstraite. J’avais donc d’un côté le logo avec le motif de la bobine, et de l’autre un tableau abstrait obtenu en agrandissant le centre du premier. J’ai trouvé cela intéressant. C’était mon premier diptyque.
S’il y a quelque chose qui n’apparaît pas comme évident quand on connaît votre travail, c’est l’idée du multiple, qui par certains aspects pourrait même sembler contradictoire avec votre œuvre. Comment analysez-vous cette Dose que vous avez réalisée en multiple ?
C’est contradictoire, en effet : les seize tableaux Dose sont peints en série, ils se ressemblent, mais ils sont uniques. Chaque objet est unique. Seize, c’est venu par hasard : j’avais fait seize tablettes auparavant, je me suis dit pourquoi pas seize doses. Ce que j’ai trouvé intéressant, c’est que le collectionneur pouvait acheter selon ses besoins ; il pouvait les acheter par deux, par trois, et cette notion de hasard m’intéressait. Finalement, les accrochages sont multiples. Il m’arrive de peindre plusieurs fois un même tableau en sachant que chaque tableau suscite exactement les mêmes interrogations. J’aime aussi réaliser des versions légèrement différentes.
Vous nous avez parlé de la technique, de la genèse de votre art. Qu’en est-il des influences ? Est-ce que vous rattachez votre production artistique à d’autres artistes, à d’autres mouvements ?
Mes peintures sont parfois des clins d’œil à des artistes ; soit je le sais à l’avance, puisque finalement en choisissant mes sources, je fais référence à des artistes de l’histoire de l’art, soit je le découvre après, quand j’ai fait le tableau. Un jour j’ai voulu m’acheter des collants, et en regardant l’emballage, cela m’a sauté aux yeux, j’y ai vu un Joseph Kosuth. D’où le tableau Coton Lycra, où on a les trois manières de définir le collant : par le nom, par le dessin, et par le collant lui-même. Je n’ai pratiquement rien modifié, j’ai repris l’emballage qui allait avec le collant, sans rien changer.
Et par rapport à l’esthétique pop ? C’est un mouvement qui vous intéresse ? Si l’on regarde votre travail on peut y voir beaucoup de rapprochements.
Justement, le doute est utile. J’aime bien qu’on puisse se dire « tiens, c’est pop », ou l’inverse. Certains diront que c’est minimaliste, conceptuel ; d’autres penseront à l’art optique…
Il y a un adjectif qui peut revenir par rapport à votre travail, c’est celui de décoratif. Comment vous positionnez-vous par rapport à cela ?
Cela n’a absolument aucun sens pour moi. Décoratif, pas décoratif, peu importe. De toute manière, dans mon travail, on ne peut pas appliquer un même qualificatif pour tous les tableaux. Un tableau peut en contredire un autre.
Vous avez une exigence par rapport au travail de peinture. Vous sentez que cela va être votre medium de prédilection pour le reste de votre carrière, ou bien vous pensez que vous pourriez basculer vers l’installation ?
A priori je dirais non ; pour l’instant ce qui m’intéresse c’est de peindre.
Vous avez un catalogue de tableaux idéaux, rêvés ?
Oui, j’ai des idées. J’essaie d’assembler des images, et quand l’assemblage me semble pertinent, juste, je n’ai plus qu’à le peindre. J’ai effectivement quelques tableaux d’avance.
Monique Moreira
Contemporain
Dessin, peinture
Artiste française née en 1974.
- Localisation
- Paris, France
- Thèmes
- Aliénation, alimentation, consommation, économie, hyperréalisme, société