Philippe Durand
Voir, enfin
D’abord, on est déçu. Tout ce qu’on s’attendait d’y voir, tout ce qu’on désirait d’y retrouver — Belgrade, 2006 — ne s’y trouve pas.
Mais cette déception, nulle méprise, n’est point l’effet ici d’un quelconque manquement. C’est l’effet, bien plutôt, d’un geste volontaire. Comme si c’était ce geste, précisément, comme si c’était cette déception même, suscitée, provoquée chez le spectateur qui présidait à ce qui fait tout le caractère artistique de ces photographies. Le rapport artistique, ou philosophique, qu’un spectateur y entretient.
Les photographies de Philippe Durand entendent, résolument, s’abstraire du cliché. Tâche éminemment difficile, accordons-le. Ne vivons-nous pas, aujourd’hui plus que jamais, dans une société du cliché omniprésent, où l’image pullule, l’image dans son régime discursif, storytelling, l’image dans son régime démonstratif, Bible des illettrés, et spécialement publicitaire ? Ne vivons-nous pas, aujourd’hui plus que jamais, dans une société du spectacle, un monde sous écran, où la passivité s’organise, mise en scène, comme s’organise aussi, sous contrôle, la moindre activité ? Règne d’un réel prédécoupé, d’un réel toujours déjà reconnu avant que d’être connu, toujours déjà prévu avant que d’être vu. Règne d’une pensée sans pensée, d’une pensée toujours déjà pensée, confirmation, donc, de la confirmation.
On comprend bien, dès lors, toute la radicalité qu’il y a, chez Philippe Durand, à proposer des photographies si peu spectaculaires, photographies qui sont si peu images, photographies qui sont si proches du rien à voir, sises, çà ou là, dans le presque rien, qui s’essaient, ou qui s’efforcent, autant que faire se puisse, à demeurer muettes, aussi longtemps du moins qu’on ne s’efforcera pas, soi-même, de les entendre, aussi longtemps qu’on ne s’essayera pas, soi-même, au silence.
Radicalité d’ailleurs, faut-il le dire, qui en fait aussi toute la fragilité. Au cœur de la rumeur contemporaine — bruissement des pages des magazines, sifflement aigu de la télévision, ronronnement tellement plus heureux, et tellement plus insidieux en fait, de nos ordinateurs, ou autres calculateurs, de nos téléphones, à la énième génération, ou morgue hautaine, encore, et morgue ancienne, de ces affiches publicitaires, à tapisser les rues, on a manqué de les oublier tellement c’est devenu un élément du décor — dans ce cliquetis des images, dis-je, les photographies de Philippe Durand risquent fort de passer inaperçues. Pas de doute, on pourrait passer devant sans s’arrêter.
Philippe Durand
Contemporain
Film, photographie
Artiste né en 1963.
- Localisation
- Paris, France
- Site Internet
- www.philippedurand.fr
- Thèmes
- Espace public / espace urbain , société