Anne-Marie Benoit — Tanaisie
Exhibition
Anne-Marie Benoit
Tanaisie
Past: June 17 → 24, 2023
Il n’est pas rare que des artistes peignent, leur vie durant, des sujets sensiblement identiques. Il n’est pas rare également que ce sujet change. Anne-Marie Benoit ne peint que ce qu’elle voit et, par là, est étrangement soumise à cette double contingence.
Un autre décor, un autre environnement auraient définitivement transformé les couleurs et les motifs de ses tableaux. Un climat aride et sec aurait appelé des couleurs plus chaudes, une hygrométrie plus prononcée aurait fait naître une prépondérance du bleu. Peu importe. Chaque contexte aurait révélé sa même dose de vérité. Dans la répétition du geste, dans l’élection, chaque fois nouvelle, d’un rapport des couleurs, la prise du pigment sur la toile et sa confrontation à la vivacité du sujet initial (une chaise, un bouquet, un vase, un cadre de fenêtre, un verre), elle réordonne le rapport de forces en un aplat égalitariste des formes qui le travaillent.
Et du temps qui passe. Si l’éclosion de sa fleur attire immanquablement le regard, c’est bien dans son assèchement qu’Anne-Marie Benoit a rencontré la tanaisie, la déviation du jaune de ses fleurs vers un or passé, du vert de ses tiges vers un marron végétal, comme autant d’arbres du passé. Les lignes dentelées dessinent un labyrinthe touffu de ramifications déjouant les perspectives et invitant à observer leurs extrémités tout autant que ce qui se joue à l’opposé, à la surface de la terre et en son envers.
Et c’est là précisément que se multiplient les lignes de fracture des compositions de cette nouvelle série qui découpent et tranchent dans le réel les fragments d’un ensemble à recomposer. L’ordre du visible y procède d’un développement analogique à celui de la plante ; étend sa surface à la recherche de la lumière, tourne et tord la perspective de sa base en semblant se déjouer de la gravité. « Fleurit parce qu’elle fleurit »…
Le poème n’a pas tort. Lui qui déconstruit, circonvolue et codifie le paysage pour tenter de s’en faire le reflet le plus fidèle. La base solide (vases, pots et socles divers) de chaque composition de cet ensemble, marquée par des jeux de lumière inattendus couvrant la découpe de profondeur en la ramenant au premier plan, laisse saillir un dernier coup de pinceau, le plus haut sur la toile, le plus proche du regard. Une zone d’indécision qui reflète à la surface l’agitation sourde des racines en sous-sol qui donnent leur force de vie aux tiges sans en dicter la forme. C’est au regard alors d’embrasser l’éblouissement cubiste initial pour se familiariser au bout de quelques minutes avec ces formes qui nous jettent dans la forêt, au pied d’arbres imaginés et de roches inventées.
Le Grand Livre des herbes nous met en garde, on ne plante pas la tanaisie sans conséquence ; son déploiement envahissant s’accapare l’espace et contraint, sous la surface, le développement de ses congénères. Aussi commune que spectaculaire, elle enflamme les paysages d’un jaune sauvage et d’une amertume qui finit de brûler jusqu’aux palais des amateurs de chartreuse.
À l’image de cette tanaisie qui a dirigé l’imaginaire de sa dernière série de tableaux, l’œuvre d’Anne-Marie Benoit est rustique et vivace dans son sujet. Une composition, un décor. Plus âpre dans sa mise en scène ; les proportions s’enfuient, la ligne d’horizon du regard bascule à la lecture de chaque coup de pinceau. Comme les teintes s’emmêlent et les contrastes se figent au rythme de la lumière tombante, le tableau s’incarne et devient évident à mesure que la trace s’épaissit. Les lois de la géométrie se plient à la hiérarchie sentimentale et chronologique du geste. Rustique : une perspective, une ligne. Vivace : le piège se referme quand chaque ligne semble tracer une nouvelle perspective.
On ne plante donc pas de tanaisie sans risque. Même desséchées, abandonnées au temps, Anne-Marie les cueille et en confectionne un monde imaginé qui nous invite à embrasser sa focale pour que « ce qui saute aux yeux » s’y agrippe durablement et puisse se parcourir avec l’assurance d’un miroir fidèle du vrai.
Car il n’est de plus fine définition du paysage que la fabrication répétée des variations qui l’accompagnent, de ce décor familier que l’on voit, de cette intimité immédiate à laquelle il nous renvoie. Ce qu’en définitive elle nous offre, parce qu’elle l’a toujours sous la main ; un paysage en bouquet.
Guillaume Benoit
Exposition Anne-Marie Benoit, Tanaisie Du 17 au 24 juin 2023 — Atelier Claire-Marie Neufville, 20, rue Chapon, 75003 Paris.