Grisaille Vertigo — Galerie Jocelyn Wolff — Exposition — Slash Paris

Passé : 14 mai → 1 juillet 2023

Le point de vue de Slash :

Avec pour point d’orgue une œuvre sidérante de Miriam Cahn, la galerie Jocelyn Wolff présente une exposition articulée autour du procédé historique de la grisaille, cette méthode de dessin décorative visant à restituer les contrastes de la matière sculptée sur un plan. À travers des pièces contemporaines et historiques, le curateur François-René Martin imagine une exposition totale qui tisse un lien jouissif entre passé et présent et investit la dimension décorative du sujet. Un projet ambitieux qui embrasse l’histoire en revisitant dans l’espace cette vertu décorative d’un volume qui le creuse et lui adjoint une nature plastique. p(info). Guillaume Benoit

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Avec une sélection d’œuvres de : Les Bentvueghels, Louis-Léopold Boilly, Moretto da Brescia (d’après), Colette Brunschwig, Miriam Cahn, Cavaliere d’Arpino (cercle), Marc Desgrandchamps, Anna Hulacova, Jacques I Laudin, Pietro Morone (cercle), Achim Reichert, Thomas Ruff, Piat Joseph Sauvage, Bernard van Orley (cercle), Palma il Giovane (attr.), Jean II Penicaud (attr.), Hélie Poncet, Pieter Gerritsz van Roestraten (attr.), Jan van Scorel (cercle), Francisco Tropa, Aby Warburg, Clemens von Wedemeyer, et artistes anonymes des 16e et 19e siècles.

Commissariat de François-René Martin, docteur en science politique et docteur en histoire de l’art. Sa thèse portait sur Grünewald et ses critiques (XVIe-XXIe siècle). Professeur d’histoire générale de l’art aux Beaux-Arts de Paris depuis 2007, et coordinateur de la recherche à l’École du Louvre, il travaille actuellement sur les mythes artistiques, sur des questions d’historiographie et sur Ingres et Raphaël.

Exploration aventureuse courant du XVIe au XXIe siècle, l’exposition Grisaille Vertigo rassemble une quarantaine d’œuvres réalisées dans ce mode chromatique si particulier, passant la réalité au filtre de nuances de gris. Originellement pratiquée comme « jeûne chromatique » en période de carême, puis largement développée sur les panneaux extérieurs de retables, la grisaille désigne d’abord une « peinture monochrome en camaïeu de gris donnant l’illusion du relief sculpté ». Mais au fil des siècles, cette reine du trompe-l’œil va ensuite servir une multitude d’applications profanes, liées à la reproduction gravée des images, puis à leur existence photographique et cinématographique. « Grisaille Vertigo » s’enivre de ces mutations, ou comment la grisaille devient une véritable méta-grisaille.

Sans prétendre à l’exhaustivité, l’exposition propose un choix d’œuvres significatives, les plus symptomatiques des paradoxes et interrogations soulevées par le sujet, notamment un retable attribué à l’entourage de Jan van Scorel (1495-1562), les faux reliefs à l’antique peints par Piat-Joseph Sauvage (1744-1818), ou encore de saisissantes peintures en trompe-l’œil de Louis-Léopold Boilly (1761-1845) simulant la gravure ou le dessin. C’est également l’occasion de susciter des échanges entre création historique et art contemporain et de nouer de nouvelles relations. Le sculpteur Francisco Tropa, le peintre Marc Desgrandchamps et le designer graphique Achim Reichert ont ainsi été invités à produire de nouvelles œuvres.

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Grisaille est le titre d’un tableau de Miriam Cahn à l’origine de ce projet. Il peut à première vue apparaître singulier pour une artiste qui ne revendique pas son inscription historique dans son positionnement artistique; je ne connais pas, de mémoire, d’autres titres faisant allusion à la tradition chez cette artiste, si ce n’est une allusion plutôt théorique au registre du « classique ».

Peu porté sur la fréquentation des grands maîtres, l’intérêt de Miriam Cahn pour Mathias Gruenewald est néanmoins manifeste: il apparaît dans nos conversations, et bien entendu dans sa bibliothèque pourtant très contemporaine et littéraire. Or l’art du retable d’autel se manifeste souvent aux XVème et XVIème siècles par la présence de figures en trompe-l’œil en grisaille sur les panneaux extérieurs, ainsi pour Mathias Gruenewald avec les panneaux conservés à la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe. De musée en exposition, tout amateur d’art occidental sera confronté à de nombreux retables présentés panneaux ouverts: ainsi la lecture des panneaux extérieurs en grisaille demeure souvent difficile, voire impossible, et cependant on en devine la présence fantomatique, on fait le lien avec les développements ultérieurs de la grisaille, on nourrit son imagination.

À l’exemple de Miriam Cahn, ou de Gerhard Richter dans ses séries des années 60, une forme d’impensé grisaille opérerait-elle dans l’art contemporain, peut-être difficile à identifier, car imbriqué dans une conversation peinture/photographie un peu éculée ? À la fois spécialiste de l’histoire de l’histoire de l’art et de Mathias Gruenewald, mais aussi profondément attaché à la création la plus actuelle et au devenir artistique de ses étudiants à l’École des Beaux-Arts, François-René Martin me semblait à même d’apporter des éléments de réponse à cette question. Il a pour cela bénéficié du soutien d’Hélène Meisel dans la recherche, et du concours de trois artistes sollicités pour l’exercice: Marc Desgrandchamps, Francisco Tropa et Achim Reichert (pour la création graphique).

Ainsi, avec Grisaille Vertigo, continuons-nous notre travail d’exploration et de recherche, en prolongement direct de l’exposition L’Art d’Eugène Carrière (commissariat Serge Lemoine), maître de la brunaille, mais aussi en écho avec notre travail d’exposition amorcé il y a des années confrontant archéologie et art contemporain. Avec un peu d’espoir, l’annonce météorologique à la radio le matin d’une journée dominée par la grisaille nous fera immédiatement voyager à travers les vertiges de l’histoire de l’art et ses multiples points de connexion intertemporels

Jocelyn Wolff