José María Sicilia — Suspendu à un fil

Exposition

Peinture

José María Sicilia
Suspendu à un fil

Passé : 11 février → 25 mars 2023

Quarante ans après le début d’une précieuse collaboration, la Galerie Chantal Crousel est heureuse d’accueillir la neuvième exposition personnelle de José María Sicilia. Dans ses œuvres récentes, il poursuit son travail de traduction de phénomènes sensibles en représentations graphiques. Il approfondit ses recherches sur les manifestations de la lumière, l’appréhension du temps, la traduction du non-visuel et des traditions de récits oraux qu’il transcrit en explorant la technique de la broderie, caractéristique de son travail récent.

Figure de proue d’une nouvelle peinture espagnole apparue dans les années 1980, José María Sicilia émerge au sein d’une jeune génération d’artistes intéressés par la matérialité en peinture. Ses premiers tableaux — à l’huile et à la cire sur bois — invitent le spectateur à faire l’expérience d’une lente plongée dans la matière, tout en le mettant au défi de voir au-delà de la représentation.

Dans ses séries récentes, la soie devient le matériau principal. Entre profondeur et surface, absorption et réflexion de la lumière, elle permet d’accrocher l’invisible, l’éphémère, l’intangible, à travers les fils qui rendent graphiquement la richesse et la diversité de ce qui échappe à la vision. Ainsi, la soie, dont le moiré est à la fois transparent et opaque, permet à l’artiste de révéler et d’occulter l’immatérialité des forces qui nous entourent et nous traversent.

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José Maria Sicilia, Ninfosis, 2022 Soie — 203 × 143 Courtesy de l’artiste et galerie Chantal Crousel, Paris — Photo : Roberto Ruiz

L’oscillation entre dévoilement et dissimulation parcourt toutes les œuvres présentées dans l’exposition. Constituées d’une superposition de panneaux de soie brodés de lignes et de formes, elles sont une tentative de traduction de phénomènes sensibles mais non visibles en œuvres visuelles et bidimensionnelles. Ainsi, l’artiste traduit graphiquement le chant des oiseaux dans la série El Instante, la nature ondulatoire de la lumière à la suite de l’expérience de Thomas Young en 1801 dans Ninfosis,_ le fonctionnement de la vision dans Lucciola, les ondes sismiques de Fukushima dans Accident, la voix multiple et ancestrale des contes des Mille et Une Nuits dans Raconte-toi.

Cette traduction n’est cependant pas une représentation comme peuvent l’être un sonogramme, un schéma scientifique, un dessin biologique ou un graphique, sources de son travail. Par un complexe processus de traduction de l’invisible en visible, de l’immatériel en matériel, de l’instant éphémère (d’une secousse, d’un chant, d’un éclat de lumière) en une image durable fixée par les fils de ses toiles, José María Sicilia crée un nouveau langage. La figure de l’artiste n’est plus celle du démiurge mais du passeur d’images. À la manière d’un poète rimbaldien, il construit un monde de synesthésies où un sens est transféré vers un autre, un langage vers un autre. Pour accomplir cette métamorphose, l’artiste utilise tant la poésie (celle des Mille et Une Nuits, de la beauté qu’il trouve dans la nature ou dans les films de Pier Paolo Pasolini), que la science (celle du physicien Thomas Young, des chercheurs en ornithologie de Cornell University, des sismologues ayant étudié le tsunami de Fukushima).

Il recourt également à la technique ancestrale de la broderie (utilisée traditionnellement pour inscrire des initiales, des motifs floraux ou des ornements abstraits) et de la calligraphie, tout autant qu’aux outils digitaux et technologiques de recueil et d’étude de la data. L’artiste décode un monde qui nous est naturellement inaccessible et en encode les informations dans un langage poétique et artistique qui lui est propre, et qui nous permet de les aborder visuellement, sans pour autant pouvoir les appréhender complètement.

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José Maria Sicilia, La luz que se apaga, 1998 Peinture à l’huile, cire d’abeilles — 182 × 152 Courtesy de l’artiste et galerie Chantal Crousel, Paris — Photo : Martin Argyroglo

Sa traduction n’est finalement pas une translation mais plutôt une transformation d’un phénomène unique et passager en un univers particulier, contenu en une image, qui en conserve la mémoire. L’artiste se laisse lui-même prendre par ce processus de perpétuelle métamorphose. En recourant à un vocabulaire plastique en mutation et à l’appropriation de motifs croisant différentes époques et civilisations, il réinvente son langage plastique et technique (de la peinture à la cire des débuts aux fils de soie traçant des dessins informatiques), et redessine la figure de l’artiste.

Afin d’effectuer cette traduction-transformation, José María Sicilia s’approprie des images existantes : graphiques scientifiques, images trouvées dans la culture populaire ou images tirées du film Les 1001 nuits de Pier Paolo Pasolini. Toutes représentent un instant, soustrait à la durée d’un enchaînement linéaire.

Tout comme Pasolini, José María Sicilia est fasciné par les lucioles, qui donnent leur nom à une des séries présentées. Pour l’artiste, elles sont une manifestation des plus étonnantes de naissance et de dispersion de la lumière, mais aussi de sa nature passagère, intermittente, tout comme l’instant à peine perceptible, tout comme le chant d’un oiseau qui se pose un moment sur une branche avant de s’envoler de nouveau, tout comme une secousse, qui suspend le temps en un éclair. Tout cela n’est finalement qu’une image, que « la lueur passante qui franchit, telle une comète, l’immobilité de tout horizon »1.

C’est cet instant, cette image — éphémère et en mouvement — qui intéressent l’artiste. Loin de vouloir figer les contes des Mille et Une Nuits dans une interprétation définitive, il y appose des images diverses qui papillonnent d’une page à l’autre, qui traversent les feuillets telles des étoiles filantes. L’artiste ne cherche pas, en juxtaposant les instants, à reconstruire une durée, mais en les combinant, en les « agglutinant »2, à créer une nouvelle perception du temps.

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José Maria Sicilia, El instante, 2013 Encre de chine — 210 × 150 Courtesy de l’artiste et galerie Chantal Crousel, Paris — Photo : Aurélien Mole

La combinaison d’univers visuels différents et d’un texte lui-même issu d’une création collective ancienne et plus récente, orientale et occidentale, nous amène à comprendre son intervention non comme une illustration actuelle de mots du passé, mais comme une volonté d’engager une conversation transcendant le temps, voire une méditation poétique sans cesse renouvelée.

Entre diffraction et réfraction, entre volume et silence, entre instant et durée, entre immobilité et mouvement, les formes que José María Sicilia brode sur ses toiles font vibrer la surface des œuvres des phénomènes éphémères et invisibles que l’artiste tente de fixer dans un langage original qui lui est propre. Ainsi, dans leur abstraction-même, les toiles et œuvres sur papier débordent d’une vitalité et d’une croissance organique, comme l’indique le titre d’une de ses dernières séries, Ninfosis3.

C’est en transformant — par un complexe processus de traductions — les informations sensibles d’un monde qui nous est inaccessible que José María Sicilia poursuit sa quête du sublime.

1 Georges Didi-Huberman, Survivance des lucioles, Les Éditions de Minuit, 2009, p. 101.

2 João Fernandes identifie dans les œuvres de José María Sicilia « un processus morphologique d’agglutination qui remplace le processus traditionnel de juxtaposition qui a toujours été la marque du collage à travers l’histoire de l’art ». João Fernandes, « Translation and metamorphosis: José María Sicilia, the artist and the task of the translator », in José María Sicilia : La Locura del Ver, La Moneda, 2017, p. 12.

3 Ninfosis décrit le processus de transformation d’un insecte en nymphe.

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10, rue Charlot

75003 Paris

T. 01 42 77 38 87 — F. 01 42 77 59 00

www.crousel.com

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Horaires

Du mardi au vendredi de 10h à 18h
Les samedis de 11h à 19h

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