Jot Fau — Caminando, caminando — Ojalá — Exposition — Slash Paris

Encore 4 jours : 9 → 22 décembre 2024

Jot Fau — En questions En agglomérant, collant et rapiéçant divers éléments abandonnés ou isolés, Jot Fau réinvente un peuple manquant où les ordres et hiérarchies sont repensés. Animaux, humanoïdes et végétaux ressuscitent à travers des formes dictées par les interférences de la matière, de la rencontre et de l’opportunité qui figurent autant d’histoires que leurs réunions met en scène. Une poésie de la main qui s’empare du hasard et de la nécessité pour fonder sa logique de transformation organique où la réparation et le soin se font valeur génératives. Elle présente en décembre 2024 une exposition à Ojalá, Paris.

En initiant sa résidence à Ojalá, Jot Fau s’est rattachée à une chanson révolutionnaire chilienne, découverte il y a quinze ans alors qu’elle vivait à Santiago et écoutée inlassablement depuis. Écrite en 1970 par Victor Jara, Caminando, Caminando, elle décrit un homme marchant sans relâche à la recherche de sa liberté. L’exposition reprend le titre de cette chanson pour lui rendre hommage et témoigner d’une dualité qui l’habite : la nécessité de construire un foyer et le désir permanent d’un départ. Toujours autobiographique, le travail de Jot est fait de blessures qui se referment et de souvenirs qui s’épaississent. Guidées par un processus constant de réminiscence, les formes créées se tissent à différentes strates mémorielles, jusqu’à se confondre tout à fait.

Dans l’espace Ojalá, plusieurs obsessions de l’artiste ont refait surface. Jot a notamment réalisé une série de six sacs, exprimant l’idée d’un périple et la puissance d’un corps en mouvement. Qu’ils soient en bois gravé, revêtus de cuir ou tissés en fils de fer, tous arborent les mêmes types de motifs : des bottes pointues, des chaussettes trop grandes ou rapiécées, les clefs d’une maison ou des serpents qui se mordent la queue. Ces symboles compulsivement répétés évoquent l’idée d’un chemin déjà mille fois foulé mais qui reste pourtant à défricher. Des représentations de paysages montagneux ou de sols enfeuillés ouvrent parfois la perspective de cette errance : s’y nichent souvent de fragiles architectures, comme autant de promesses d’un refuge. D’autres objets comme des petits lits en céramique ou un grand bâton, recouverts de cuir blanc et noir, font appel aux corps pour leur offrir un soutien. D’autres motifs, comme des mains tendues, entrelacées ou un œil en bois gravé et plein de larmes, témoignent des possibles rencontres faites sur le chemin.

Ces sacs, que Jot aime comparer à de petits mondes à porter, nous attirent chacun la gueule ouverte. Leurs intériorités à remplir font directement écho au processus créatif de l’artiste, qui prend vie dans l’amassage et l’assemblage. Elle glane notamment de nombreux morceaux de bois dans la nature, dont les formes lui en évoquent d’autres (des bottes ou de petits animaux, par centaines), puis les recouvre de cuir. De collections en réparations, de recueillements en recouvrements, Jot invente son propre vocabulaire technique et sensible. Dans l’exposition, de petits autels se forment : ces éléments vulnérables et vivants ainsi revêtis déplacent nos regards vers un domaine presque sacré. Les recherches récentes de l’artiste portent en effet sur la question de l’objet magique, celui que l’on associe à la traversée d’épreuves difficiles. Ainsi, à la manière de petits ex-voto, les œuvres de Jot prennent forme à la rencontre précise de l’espoir et du désespoir. Ils laissent apparaître la tendresse des gestes qui les ont conçus, les liens qui les relient et les retiennent, le fil au bout de l’aiguille. Une place merveilleuse est accordée au geste inachevé, comme le présage d’une transformation à venir. Ici, on se rappelle l’adage de Michel Serres dont Jot a profondément aimé la lecture : « La vie bouge et change, elle échange »¹.

Violette Morisseau

¹ Michel Serres, Variations sur le corps, ed. Le Pommier, 2013

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