Camille Henrot — Est-il possible d’être révolutionnaire et d’aimer les fleurs ?

Exposition

Photographie, sculpture, techniques mixtes

Camille Henrot
Est-il possible d’être révolutionnaire et d’aimer les fleurs ?

Passé : 6 septembre → 6 octobre 2012

Gary hill cutting corners creates more sides 1 grid La rentrée des galeries — 13 vernissages à ne pas manquer Après la désertion du mois d’août, les galeries font leur rentrée en fanfare et, comme chaque année, entament cette nouvelle saison avec un programme aussi chargé qu’excitant. Henrot grid Entretien — Camille Henrot Exposée cette rentrée chez Kamel Mennour et à Rosascape, Camille Henrot développe un travail autour des fleurs et de ses lectures réifiés en ikebanas.

Des bouquets aux noms de livres, une bibliothèque idéale comme un jardin artificiel… que justifie ce rapprochement incongru ? Cet espace, dans lequel on déambule comme on le ferait dans une bibliothèque, problématise radicalement le rapport du livre aux fleurs par son titre piquant : « Est-il possible d’être révolutionnaire et d’aimer les fleurs ? » Avec ce troisième terme de l’équation, on entre dans le vif de l’œuvre. Camille Henrot cite Marcel Liebman qui rapporte les propos d’un collaborateur de Lénine :

« On commence par aimer les fleurs et bientôt l’envie vous prend de vivre comme un propriétaire foncier, paresseusement étendu dans un hamac et qui au milieu de son magnifique jardin lit des romans français et se fait servir par des valets obséquieux. »1

L’amour des fleurs serait un terrain glissant vers une pratique non moins antirévolutionnaire, celle de la littérature. Et comme la fraîcheur des fleurs ravive les couleurs d’un cadavre, la littérature panse nos peines. Entre révolution et consolation, faut-il choisir ?

Camille Henrot, en traduisant d’un trait ses livres en fleurs, perpétue singulièrement la pratique japonaise du bouquet dont l’assemblage des fleurs doit refléter l’état d’esprit de celui qui le réalise. D’avril 2011 à avril 2013, Camille Henrot a décidé de faire exclusivement des ikebana de sa bibliothèque et rendre ainsi à ses livres une existence purement matérielle, un retour à leur élément primitif, le végétal.

Sa pratique de l’ikebana rejoint l’idée de « l’art comme autotransformation » telle que l’a imaginé John Cage (Comment rendre le monde meilleur (on ne fait qu’aggraver les choses)), un livre qui ici s’incarne dans une unique endigia biologique plantée sur un kenzan, l’outil traditionnel de l’ ikebana japonais qui fait singulièrement écho à l’une des préoccupations récurrentes de Cage citée par l’artiste : « jours passés à chercher des aliments non synthétiques ».

Ainsi l’ikebana, comme le livre, concentre en un objet l’ensemble d’une pensée, rassemble des fragments disparates, réconcilie les opposés en un tout dont la dimension est globale.

Si comme l’écrit Jean-Christophe Bailly, dans Le propre du langage, la bibliothèque est une polyphonie, l’environnement d’ikebana devient une cosmogonie où des pensées hétérogènes forment un tout harmonieux, sur le principe du bouquet lui-même, assemblage d’éléments déracinés, coupés de leurs contextes et réunis en un tout synthétique. Qu’elles jouent sur la taxinomie, leur pouvoir « palimpsestique », la vulgarisation du langage des fleurs ou l’histoire de leurs origines, les forces mystérieuses qui agissent en vue de la réalisation du bouquet tracent un langage ultralucide. En reprenant cet art du bouquet ancestral Camille Henrot balaie littéralement la hiérarchie rigide entre les arts sensoriels et les arts intellectuels, ce qui s’inscrit dans le temps cyclique (celui de la nature) et dans le temps historique (celui de la révolution).

« A mon sens les pensées produites par la littérature, la philosophie ou l’anthropologie font partie intégrante du quotidien, elles sont aussi d’une certaine manière « des objets décoratifs », étant entendu ici qu’elles créent un environnement stimulant et apaisant »

Camille Henrot

En ce sens, elle perpétue sa perspective de travail en se plaçant dans une vision anhistorique du temps et en réintégrant la rationalité dans l’ensemble des comportements humains.

Dans cette littérature transcrite en fleurs l’esprit et la matière s’engendrent l’un l’autre. Et comme les valeurs s’incarnent dans les choses naturelles, les fleurs réputées inoffensives prennent l’aura d’une arme puissante et dévastatrice dans les mains de l’artiste. Camille Henrot met en place un langage lapidaire dont le phrasé est libérateur. On comprend alors pourquoi les révolutions s’approprient des noms de fleurs, la révolution portugaise des œillets, la campagne des cent fleurs en Chine, la révolution des roses en Géorgie, des tulipes au Kirghizistan, de safran en Birmanie, de jasmin en Tunisie. En réalité, avec ces ikebana on entre au cœur d’un principe de résistance violemment opposé à toute forme de pouvoir et d’autorité : le principe du plaisir.

Camille Moulonguet, juillet 2012

Biographie

Née en 1978, Camille Henrot vit et travaille à Paris. Son travail a été présenté au sein de nombreuses expositions personnelles et collectives en France : au musée du Louvre, au Centre Pompidou, au palais de Tokyo, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, à l’Espace culturel Louis Vuitton, au Jeu de paume, à la Fondation Cartier ; ainsi qu’à l’étranger: au MOCAD de Detroit, à Bold Tendencies à Londres, au National Museum of Contemporary Art de Séoul, au Centre pour l’Image Contemporaine de Genève, au Hara Museum et au Mori Art Museum à Tokyo.

Plusieurs de ses films ont également été montrés et primés dans le cadre de festivals tels que la biennale Moving Images à ICA à Londres, le Festival international du film de Rotterdam, le Festival international du film de Clermont-Ferrand, la Quinzaine des réalisateurs à Cannes ou encore le festival Hors Piste au Centre Pompidou.

Camille Henrot exposera en septembre au Sculpture Center à New York, et en novembre à la Slought Foundation à Philadelphie. Une exposition personnelle lui est également consacrée chez Rosascape à Paris, « Jewels from the personal collection of Princess Salimah Aga Khan » du 7 au 23 septembre.
Elle a été nommée parmi les quatre finalistes pour le prix Marcel Duchamp en 2010.

1 Marcel Liebman, Extrait de Le léninisme sous Lénine, la conquête du pouvoir, 1973.

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47, rue Saint-André des arts
6, rue du Pont de Lodi

75006 Paris

T. 01 56 24 03 63 — F. 01 40 46 80 20

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Odéon
Saint-Michel

Horaires

Du mardi au samedi de 11h à 19h

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