Arnaud Labelle-Rojoux — C’est écrit dessus !

Exposition

Peinture

Arnaud Labelle-Rojoux
C’est écrit dessus !

Dans 7 jours : 28 mars → 31 mai 2025

L’exposition rassemble plus de 50 aphorismes d’Arnaud Labelle-Rojoux, datés de 1998 à 2025.

« Qu’on pèse donc les mots, polyèdres d’idées, avec des scrupules comme des diamants à la balance de ses oreilles, sans demander pourquoi telle et telle chose, car il n’y a qu’à regarder, et c’est écrit dessus. » Alfred Jarry

Jarry entendait par là que la matérialité d’un texte prime sur toute explication ; qu’il est là, en somme, comme un objet à considérer sans mode d’emploi.
À regarder.

Ailleurs, dans une conférence intitulée « Le temps dans l’art », Jarry souligne que la littérature « est obligée de faire défiler successivement un à un les objets qu’elle décrit », alors que le spectateur d’un « tableau » embrasse « d’un seul coup d’œil un grand nombre d’objets ».

Telle est la donnée : conjuguer le lire et le voir simultanément.
Au lecteur de se faire « regardeur », au « regardeur » de se faire lecteur. »

Commençons par le titre : « C’est écrit dessus. » Il est a priori sans mystère. Ne claironne rien de grandiose. Ressemble à une célèbre réclame de fromage d’abbaye.

Pourtant, comme je l’indique à Bernard Marcadé, dans notre conversation qui accompagne cette exposition d’aphorismes, de remarques, de slogans et autres préceptes d’une portée discutable inscrits sur des papiers de couleur, il se réfère à Alfred Jarry. Plus précisément à l’une de ses phrases. Voici la citation : « Qu’on pèse donc les mots, polyèdres d’idées, avec des scrupules comme des diamants à la balance de ses oreilles, sans demander pourquoi telle et telle chose, car il n’y a qu’à regarder, et c’est écrit dessus. » Jarry entendait par là que la matérialité d’un texte prime sur toute explication ; qu’il est là, en somme, comme un objet à considérer sans mode d’emploi. À regarder. Ailleurs, dans une conférence intitulée « Le temps dans l’art », Jarry souligne que la littérature « est obligée de faire défiler successivement un à un les objets qu’elle décrit », alors que le spectateur d’un « tableau » embrasse « d’un seul coup d’œil un grand nombre d’objets ».

Telle est la donnée : conjuguer le lire et le voir simultanément.

Au lecteur de se faire « regardeur », au « regardeur » de se faire lecteur.

Ce n’est évidemment pas un hasard si j’ai souhaité m’entretenir à propos de cette exposition avec Bernard Marcadé, l’auteur des deux extraordinaires biographies de Marcel Duchamp et de Francis Picabia, mais aussi le familier des œuvres de René Magritte et de Marcel Broodthaers, et plus généralement d’un certain esprit « belge », sachant ce que je dois à ces noms et à ces artistes des mots, souvent, et des pièges de la vision. Converser amicalement devant une crème brûlée à la vanille du Vanuatu et un café ne consiste pas à s’expliquer (ce n’est pas un interrogatoire), mais à raconter. Cela libère, au détour des phrases, des éléments plus ou moins intentionnels soudain éclairants, et permet au besoin de préciser avec fermeté des points importants auxquels on tient. Ainsi, quoique usant de l’écriture, je considère, pour ce qui concerne mes aphorismes sur papier de couleur (quelques autres noms qu’on leur donne), qu’ils n’ont rien à voir avec la problématique des « mots dans la peinture » qu’évoque Bernard Marcadé à la fin de notre échange.

Mes « inscriptions » (gardons le mot, qui me va comme un gant) le sont en tant qu’art et rien d’autre, sans lorgner du côté de la peinture. La panoplie des moyens est suffisamment riche pour que je ne recherche pas cette caution.

Le terme inscription, Bernard Marcadé le mentionne, est celui qu’a choisi Louis Scutenaire pour l’un de ses recueils, titre lui-même emprunté à Restif de la Bretonne, lequel tenait une sorte de journal mural en gravant directement des sentences à l’aide d’une clé sur les parapets de l’île Saint-Louis lors de promenades nocturnes.

L’acte d’écrire, dans le cas de mes phrases sur papier de couleur, est indissociable du geste manuel qui l’accompagne. Mais j’ajoute : sans ambition plastique. J’écris comme j’écris. Naturellement ? En tout cas sans recherche d’effets. Que mon écriture soit reconnaissable comme peut l’être ma voix n’implique pas plus d’enjeu d’ordre pictural que les écritures lisibles dans des panneaux brandis par des manifestants ou ceux des maraîchers vendant des fruits et des légumes visibles sur le bord des routes.

Je tiens néanmoins à l’aspect de ces écritures. Écrire signifie à la fois : 1) tracer graphiquement des lettres sur une surface donnée ; 2) exprimer avec les mots une pensée ou transmettre une information. C’est pourquoi, si je peux reconnaître avoir été très certainement inspiré par les « directives » situationnistes maladroitement peintes à gros traits noirs par Guy Debord sur des toiles, j’imagine que le support retenu par moi des feuilles de papier en couleur l’a été justement pour fuir toute ambiguïté avec la peinture pouvant naître du prestige idiot de la toile. Je dis j’imagine, parce que je n’ai en effet aucun souvenir de ce qui a présidé au choix de ces papiers de couleur. En revanche, dès l’instant où je les ai adoptés, j’ai eu conscience qu’ils boostent la pauvreté graphique des phrases, leur apportant une distanciation allègre, entre cuculisation (papiers de découpages infantiles) et efficacité publicitaire. Les mots signifient toujours plus que leur représentation, a fortiori lorsque s’ajoute cet élément potentiellement signifiant de la couleur, même si celle-ci n’est pas présente pour elle-même. Car j’ai fait mienne depuis longtemps la formule de Pablo Picasso : « Quand je n’ai pas de bleu, je mets du rouge. » La couleur donc, n’importe laquelle, c’est écrit dessus.

Reste la question de la langue. C’est écrit dessus, mais en français. Là encore, la chose est abordée dans la conversation. S’il m’arrive souvent de parsemer de mots anglais des peintures, des dessins ou des collages, les aphorismes, eux, sont presque tous été écrits dans la langue que je pratique au quotidien, le français. Il ne s’agit aucunement d’un quelconque acte de résistance linguistique. Comment dire ? C’est ainsi que les mots me viennent et, par là, les formules et les images qui s’ensuivent. Bifurcations invisibles, ricochets, leur déclencheur est la langue. C’est aussi simple que cela. Ou plutôt, la langue et l’association d’idées, les deux allant de pair. Exemple : Shakespeare pour la soif (aphorisme inédit). Qui comprend quoi ? Embarquez-vous ! Le problème ? Que ces aphorismes ne soient susceptibles de s’adresser qu’à des lecteurs francophones ? Je suis tout prêt à concéder qu’une connivence plus grande leur est réservée, mais il sautera aux yeux des autres, j’espère, que leur raison d’être œuvres d’art suffit à les regarder.

Arnaud Labelle-Rojoux

« Arnaud Labelle-Rojoux, C’est écrit dessus ! » — Nouvelle publication aux éditions Loevenbruck, Paris, disponible le jour du vernissage

  • Vernissage Jeudi 27 mars 18:00 → 20:00
06 St Germain Zoom in 06 St Germain Zoom out

6, rue Jacques Callot

75006 Paris

T. 01 53 10 85 68 — F. 01 53 10 89 72

www.loevenbruck.com

Mabillon
Saint-Germain-des-Prés

Horaires

Du mardi au samedi de 11h à 19h
Et sur rendez-vous

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